Sourire du fayot et courbettes: apprentissage du «business code» japonais

De Kip, jeune Suissesse issue de l'Ecole hôtelière de Lausanne, pensait commencer à travailler à Tokyo, où elle a été recrutée. En vérité, la voilà avec tous les nouveaux dans un cours de deux semaines pour apprendre les bonnes manières, en vue de la cérémonie d'intronisation avec le grand patron.

Publié le 06 décembre 2020 11:55. Modifié le 30 janvier 2021 01:32.

7h00: premier jour chez T. Corp. En plein stress, je tente d’être la plus conforme possible à l’ image d’une col blanc japonaise.

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Au Japon, tout est réglementé. Les tenues vestimentaires ne font pas exception. Dès l’arrivée du printemps, les universitaires en recherche d’emploi courent dans les boutiques spécialisées pour s’acheter tout l’attirail «shinsotsu».
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Bon, conformité je veux bien, mais il est hors de question que je dépense des mille et des cents pour un costume «effet sac».

8h30: très fière de moi, me voilà en chemin dans mon look «presque réglementaire». Évidement, je réussis à me tromper d’entrée, les hôtesses de l’accueil me renvoient à un bâtiment secondaire. Toujours incertaine, je décide de suivre un cortège de jeunes japonaises en costumes.

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Bouffée de stress quand je passe la porte de la salle de réunion. Une foule de chérubins me scrutent ébahis. Je suis la seule imbécile en gris dans une marée de costumes noirs. Il est 8h45 et je brille déjà par mon ignorance.
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9h00: première tentative d’intégration, je me mêle à la conversation de mes collègues. C’est à ce moment que je me rends compte du gouffre abyssal entre le processus de recrutement «occidental» et le modèle japonais. Ici, les nouveaux employés ont tous entre 19 et 21 ans, ils n’ont jamais touché de près ou de loin au monde de l’hôtellerie et du management, certains ont étudié la psychologie à l’université, d’autres la poterie antique… Ce qui compte pour l’entreprise recrutante, c’est le prestige de l’université dont ils sont issus. On les souhaite malléables, prêts à être reprogrammés selon les règles et les valeurs de l’entreprise.

Bon, sinon je trouve que je limite la casse, pour le moment, je ne me débrouille pas si mal. C’est alors qu’une grande femme tirée à quatre épingles fait sont entrée dans la salle, notre professeure de «Business manners». Début de la terreur.

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10h00: je souffre. Je ne comprends strictement rien. Qu’est-ce que je fais ici? Ce n’est pourtant qu’un avant goût de ce qui nous attend, mes collègues et moi. Pendant huit heures, nous allons subir un reconditionnement miliaire. Le «business code» japonais est composé d’une infinité de règles de politesse, de non-dits, de gestes à interpréter et j’en passe. Loin de moi l’idée de pouvoir les expliquer correctement. L’inventaire est interminable: du choix de la bonne position dans l’ascenseur à l’échange des cartes de visite, en passant par le maintien ou la diction. Je suis complètement à la ramasse.
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18h00: fin de la première journée (enfin). Je rassemble ce qui reste de mon âme fatiguée et rentre chez moi (est-il vraiment trop tard pour opter pour un changement d’orientation?). Positivons! Bientôt le bout du tunnel, à moi la vie active, l’orientation ne doit pas durer si longtemps…

Evidemment, je me trompais sur toute la ligne.

Dès le lendemain, je réalise que l’orientation est loin d’être terminée.DEUX semaines de cours d’hôtellerie et de business manners, et le plus important reste à venir: la cérémonie d’intronisation en présence du grand patron! Deux jeunes collègues ont été choisis pour réciter un discours (exprimant notre reconnaissance, notre motivation et notre loyauté) au nom de toute notre volée. Jour après jour, nous perdons un temps fou à nous entraîner pour ce rite de passage. L’ethnologue en moi s’amuse, le manager en moi commence franchement à en voir marre de toutes ces imbécilités: quand va-t’on passer aux choses sérieuses?

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Le grand jour est arrivé nous sommes officiellement des employés de T. Corp (enfin). Une fête informelle est organisée au sous sol. Je rencontre mon futur chef de département.
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Bon… visiblement je ne suis pas au bout de mes peines. Mais je positive. Lundi sera le jour de mon entrée dans le monde du travail japonais!