Le calvaire de la nouvelle employée

Publié le 09 décembre 2020 05:42. Modifié le 30 janvier 2021 01:32.

Les deux semaines d’orientation achevées, mon responsable RH me fait visiter le 7e étage où je vais désormais travailler. Première impression mitigée: on se dirait dans un film des années 80, ambiance rétro désuète. Les bureaux sont organisés en blocs par équipe. Tout au bout trône le chef de département. Pas d’endroit pour la pause, pas de cafétéria. Il faut aller au sous-sol. D’ailleurs, le concept de pause est inexistant. Les horaires officiels sont les suivants: 9h à 12h, 13h à 18h. L’interruption du travail à midi est obligatoire, à moins d’un rendez-vous client (ou bien d’être un chef de département, et là vous faites ce que vous voulez).

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Premier devoir: saluer le chef de département puis faire de même avec chaque équipe, en commençant par son leader. Le responsable des RH finit par m’abandonner à mon bureau, aux bons soins de mon nouveau boss. S.san doit avoir 45 ans, il est petit et parle comme un «Yankee» (voyou japonais). Il me souhaite la bienvenue dans l’équipe RM.  Le “revenu management” n’était pas mon choix préféré, mais comme je n’ai pas le choix, j’ai décidé de donner tout ce que j’ai. Ce qui ne va pas être très difficile: je dois surtout faire des copiés-collés sur Excel, un travail trépidant.
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Très vite, je suis réquisitionnée par la «leader» des jeunes employés. Elle m’explique que le travail commence bien à 9h mais que nous nous devons d’être là 30 minutes plus tôt pour se charger des corvées.
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C’est le moment de m’assoir sur mon orgueil, au moins pour les premiers mois. Pour éviter de craquer. Faire le moins de vagues possibles. Je suis en mode survie.

C’est bien parti, la leader des jeunes est déjà exaspérée. Car je ne pourrai pas répondre au téléphone (à mon grand soulagement), mon japonais n’étant pas assez bon pour parler aux clients. Elle s’adresse à moi comme à une demeurée, avec une méchanceté maîtrisée. Je me contrôle avec peine. Elle doit avoir cinq ans de moins que moi. Je respire à fond et je serre les dents.

Je comprendrai plus tard qu’elle est mi-japonaise, mi-américaine, qu’elle se considère elle aussi comme une étrangère et qu’elle trouve injuste que je jouisse d’un traitement de faveur.

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Nous y voilà: copier-coller des tableurs et distribuer le courrier, mes deux grandes missions pour les semaines à venir. En écoutant mes collègues, je me rends compte que personne ne fait ce qu’il a vraiment envie de faire. Tout le monde a été placé dans les équipes du département en fonction des besoins les plus urgents et non des capacités des individus. Résultat, la plupart sont démotivés, ne “performent” pas. Il y a bien trop d’employés pour le travail à effectuer et les chefs ne prennent pas le temps de former quiconque, si bien que tout le monde est en mode autodidacte. Il m’arrive de voir des collègues morts d’ennui, qui s’occupent avec du shopping en ligne depuis leur bureau. Les mystères du monde du travail japonais sont insondables.