Les Suisses ne considèrent pas le racisme comme un gros problème, mais ne savent pas le définir
Heidi.news a commandé un sondage auprès de 600 Romands qui révèle des visions différentes et peu claires de ce que constitue le racisme en Suisse.
La définition du racisme et des problématiques qui lui sont liées sont-elles claires en Suisse? Au vu des résultats du sondage réalisé par MIS Trend fin janvier, on peut se le demander. Heidi.news a commandé cette étude dans le cadre de son enquête «Racisme en Suisse: un flagrant déni.»
Le sondage a été réalisé en ligne en début d’année à partir d’un échantillon de 643 Romands âgés de 18 ans et plus, triés selon les critères habituels (sexe, âge, niveau de formation, etc.) et pondérés pour redonner à chaque genre, tranche d’âges et canton son poids démographique réel.
Enseignement principal? Le racisme ne figure pas en tête des préoccupations des Romands. A la question: «Quelles sont vos principales craintes pour la société suisse à l’heure actuelle?», le système de santé arrive en tête, suivi par l’environnement et le climat. Quant au racisme, il ne figure qu’en 10e position sur 12 proposés, mentionné par seulement 17% des répondants. Après la délinquance ou l’immigration.
Autre fait intéressant, la prégnance du racisme est perçue comme d’autant plus élevée qu’elle concerne une échelle géographique éloignée. La moitié (51%) des sondés jugent ainsi que le racisme est à un niveau «très important» ou «assez important» à l’échelle de la Suisse, mais seulement 41% en ce qui concerne leur canton, et 31% au sein de leur commune de résidence.
A noter que l’enquête sur le vivre ensemble en Suisse de l’Office fédéral de la Statistique, parue en février 2023, obtient d’autres résultats. Il montre que 60% de la population considère le racisme comme un problème important… mais 31% se sent aussi dérangée par la présence de personnes perçues comme différentes. Une forme de paradoxe. L’écart entre les deux sondages s’explique par des questions d’un autre type, notamment sous forme d’affirmations très directes à valider ou à invalider, comme Heidi.news le relevait dans un article en 2022.
Ce qui constitue une discrimination ou non n’est pas une évidence
Qu’est-ce que le racisme, et comment se manifeste-t-il? Dans le sondage de Heidi.news, il n’y a pas de réponse unanime. A la question de savoir «Quels actes constituent un acte de racisme», 79% des répondants trouvent que «les dégradations de bâtiments associés à des communautés religieuses» non chrétiennes est bien raciste, mais 21% estiment que cela ne l’est pas. Les avis sont ensuite de plus en plus divergents: les contrôles de police plus fréquents pour les personnes considérées comme étrangères ne sont pas vus comme raciste par 31% des répondants. A qualité égale, préférer le candidat d’origine suisse pour une place de travail n’est pas non plus un problème pour 40% des répondants et cela ne l’est pas non plus de faire des blagues sur les origines ethniques pour 45% d’entre eux.
Des pourcentages certes minoritaires, mais non négligeables. Ils montrent que ce qui constitue une discrimination ou du racisme n’est pas une donnée sur laquelle tout le monde s’accorde. Certains actes en témoignent: en février 2023, au carnaval de Monthey, quatre hommes n’ont ainsi vu aucun problème à se grimer en noirs (blackface) pour imiter les «Dancing Pallbearers», ce groupe de porteurs de cercueils au Ghana. Et comme le souligne notre série d’articles, il est difficile de comprendre à quel point les discriminations vécues peuvent façonner un parcours lorsqu’on n’y est pas directement confronté, ce qui est le cas d’une grande partie des répondants du sondage de MIS Trend.
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Penchons-nous justement sur ceux qui y ont été confrontés: environ 20% des sondés déclarent avoir été victime de racisme au moins une fois en Suisse.
La grande majorité d’entre eux déclarent avoir subi des insultes (65%) et des discriminations (56%). Enfin, 14% affirment avoir subi des menaces et 7% des violences physiques. L’enquête de l’OFS relève pour sa part qu’un tiers de la population résidante permanente en Suisse déclare avoir été victime de discrimination ou de violence, le plus souvent pour des motifs racistes.
Dans l’étude de MIS Trend, on observe un décalage au niveau générationnel: ce sont les jeunes de 18 à 29 ans qui se disent les plus victimes de racisme, à 28% (une fois ou à plusieurs reprises) contre 9% seulement chez les plus de 60 ans. Là aussi, on peut imaginer que la perception et la compréhension de ce qui constitue une discrimination raciale varie selon les générations. Selon l’enquête de l’OFS, les 15-25 sont aussi largement ceux qui voient le plus le racisme comme un problème de société sérieux.
Le racisme anti-Roms serait le plus répandu
Qui sont les principales victimes de racisme? Pour les répondants, le racisme anti-Roms est le plus répandu (très ou assez répandu à 65%), devant le racisme anti-Musulmans (64%). Le racisme anti-Noirs arrive en troisième position (52%). Rappelons qu’un rapport d’un groupe de travail de l’ONU, paru en octobre 2022, parle de «formes omniprésentes de racisme systémique» à l’égard des personnes Afrodescendantes. Viennent ensuite, dans les réponses au sondage, le racisme envers les personnes des Balkans, l’antisémitisme et le racisme anti-Asiatique.
Des chiffres renforcés par d’autres résultats: les Roms sont considérés par les sondés comme «des groupes à part» dans la société suisse à 77%, les Kosovars à 48% et les Musulmans à 46%.
Des statistiques intéressantes, puisqu’elles montrent une capacité claire à identifier des formes de rejet très visibles: les Roms sont vus comme une communauté à part et le racisme anti-Roms est considéré comme répandu. Identifier les biais plus discrets qui amènent des personnes suisses et racisées ou ayant une autre nationalité ou religion à subir des discriminations dans le monde du travail, face à la justice ou encore la police est nettement moins évident. C’est aussi ce qu’a montré notre enquête.
Des enjeux législatifs pas toujours compris
MIS Trend a également interrogé le panel sur les solutions qui pourraient participer à atténuer le racisme en Suisse. Les deux propositions les plus plébiscitées: 89% des répondants estiment qu’il est tout à fait utile ou assez utile de sensibiliser les enfants dès l'école. 82% des sondés se montrent favorables au fait d’appliquer la législation existante.
Arrêtons-nous sur ce chiffre: la nécessité d’appliquer la législation existante est préférée au fait de faire évoluer la législation (les lois), mentionné à 63%. Or plusieurs de nos enquêtes mettent en lumière les limites de la norme pénale antiraciste du code pénal ainsi que le fait que rien dans le droit civil ne sanctionne la discrimination raciale au quotidien, à l’embauche par exemple.
Autant d’éléments qui montrent que la définition du racisme et les problématiques qui y sont liées ne sont pas, au vu de ce sondage, clairement identifiées.
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