Catherine Namakula à Genève. Eddy Mottaz pour Heidi.news

La femme qui dérange la Suisse en la mettant face à son racisme

La Suisse présente des «formes omniprésentes de racisme systémique», affirme un groupe d'experts mandaté par les Nations unies, exemples à l’appui. Nous avons rencontré sa présidente, Catherine Namakula, qui salue des efforts à Genève et Neuchâtel mais estime aussi que les victimes sont plutôt encouragées à se taire et qu’au fond, notre pays «tolère» son racisme.

Publié le 02 février 2023 05:56. Modifié le 08 mars 2023 18:15.

Les mots de Catherine Namakula auraient de quoi faire trembler la Suisse. «Le racisme structurel dans ce pays est incompatible avec l'importance de la Suisse en matière de droits humains dans le monde», dit-elle. Nous retrouvons la présidente du Groupe d'experts des Nations unies sur les personnes afrodescendantes sous la chaise rouge géante au pied cassé, la fameuse «Broken Chair» de la Place des Nations de Genève. Il fait très froid en cet hiver 2022-2023, elle est vêtue d’un grand manteau — rouge, lui aussi — et traîne une petite valise à roulette.

Elle est chaleureuse et enthousiaste à l’idée de parler de ce qui l’anime, mais un peu pressée. Ce matin, elle participe au Palais à l’instance permanente de l’ONU pour les personnes afrodescendantes. Ensuite, elle partira pour l’Australie, prochain pays à inspecter sur sa liste, pour y observer la condition des personnes afrodescendantes.

Une famille de six enfants

Catherine Namakula a vu le jour en 1981 à Kampala, capitale de l’Ouganda, en pleine guerre civile. Elle est l’aînée d’une fratrie de six. «Mon père croyait à l’éducation des filles autant qu’à celle des garçons et il en a fait une priorité. Il a fait en sorte que je puisse aller étudier le droit au Royaume-Uni, après un bachelor en Ouganda.» Elle a aussi vécu en Allemagne, où elle était chercheuse en droit, et a obtenu un doctorat de philosophie en Afrique du Sud, pays où elle enseigne et vit aujourd’hui, entre deux voyages d’inspection. Elle a publié des ouvrages sur le droit public et apporté des contributions scientifiques sur l'inclusion dans les processus de justice pénale.

Mais surtout, Catherine Namakula a récemment pris la tête du Groupe d'experts sur les personnes afrodescendantes. Mandaté par l’ONU, le comité compte cinq membres et a été créé en 2002 par une résolution de la Commission des droits de l’homme.

Son dernier rapport, paru en octobre 2022, est très dur envers la Suisse. Il souligne notamment que «le racisme anti-Noir est toujours minimisé ou attribué à la susceptibilité des victimes», que «les cas de discrimination raciale cités dans le présent rapport ne sont pas des incidents isolés. L'omniprésence et l'impunité de ces comportements répréhensibles indiquent l'existence d'un grave problème systémique». Ou encore que «les tribunaux ne peuvent offrir un recours significatif pour beaucoup de victimes.»

Ce texte revient sur le profilage racial dans la police et des cas de racisme à l’école et au travail, entre autres. Doudou Diène, rapporteur spécial de l’ONU sur le racisme, avait déjà fait le même constat en 2007.

«Un grave problème de racisme systémique»

Ces conclusions n’ont pas plu à l’ambassadeur suisse à l’ONU. Début octobre, devant le Conseil des droits de l’homme, Jürg Lauber a estimé que «le racisme et la discrimination raciale sont des problèmes auxquels il faut s’attaquer d’urgence» et que «la dimension structurelle du racisme doit être davantage explorée», mentionnant une étude à venir du Service de lutte contre le racisme (parue depuis). Mais il a aussi contesté le rapport: «De nombreuses conclusions générales semblent se baser sur un ou quelques cas individuels seulement», a-t-il déploré. Ceux-ci ne «sont pas représentatifs de la situation», a ajouté l’ambassadeur, reprochant aux experts des «suppositions» et des «malentendus».

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