Interventions de police en Suisse: la mort de personnes noires relève-t-elle du hasard?
Ces dernières années, plusieurs hommes noirs sont morts dans le canton de Vaud dans le cadre d’interventions policières. Malheureux concours de circonstance ou résultat, même involontaire, d’un racisme bien ancré dans la police suisse? Notre enquête.
Bex, le 6 novembre 2016 au soir. Alertée par des voisins, la police vaudoise se rend dans un immeuble où un homme sous l’emprise de MDMA sème le trouble. Dans la cage d’escalier, il fond sur un policier, armé d’un couteau à pain. Le policier, alors seul (ce qui est contraire à la procédure), fait feu à bout portant, à trois reprises, et le tue. L’homme s’appelait Hervé Mandundu, il avait 27 ans.
Lausanne, le 24 octobre 2017, au matin. Dans sa cellule du centre de détention de la Blécherette, un requérant d’asile tombe de son lit, victime d’une crise d’épilepsie. Son corps est secoué de convulsions pendant 80 minutes, avant de s’immobiliser. Encore 40 minutes plus tard, un policier ouvre la porte de la cellule. Sur la vidéo de surveillance, il pose les mains sur ses hanches et esquisse un sourire, avant de comprendre la gravité de la situation et de prodiguer des secours. En vain. Il s’appelait Lamine Fatty, avait 23 ans et, confondu avec un homonyme, n’avait rien à faire dans cette cellule.
Lausanne, le 28 février 2018 au soir. A la gare, un homme soupçonné de transporter de la cocaïne est arrêté par des policiers. Il est plaqué au sol face contre terre, ses côtes sont cassées. Il est transporté inconscient au CHUV, où il meurt le lendemain. Il s’appelait Mike Ben Peter et avait 37 ans.
Morges, le 30 août 2021 en fin d’après-midi. Sur le quai de la gare, un homme armé d’un couteau de 26 centimètres fond sur un policier. L’agent tire un premier coup de feu, l’homme se relève. Le policier tire alors deux autres balles à bout portant. L’homme gît à terre pendant quatre minutes sans recevoir d’aide, avant que les policiers ne lui prodiguent les premiers secours. Sans succès. Il se faisait appeler Nzoy et avait 37 ans.
Le point commun entre ces quatre victimes: elles sont noires, et leur mort est possiblement liée à une ou plusieurs erreurs, directes ou indirectes, de policiers blancs vaudois. Sont-ils morts parce qu’ils sont noirs? Ou cette série n’est-elle qu’une succession de malheureux enchaînements de circonstances?
«On va chasser le bougnoule»
«Les décès de personnes noires survenus en Suisse ces dernières années m’interpellent, commente Frédéric Maillard, formateur et conseiller en gouvernance auprès de plusieurs polices suisses. Je ne crois pas aux concours de circonstances, je pense que les erreurs, parfois les fautes, qui ont conduit à ces décès sont en partie engendrées par une inclinaison raciste, mais qui n’est pas toujours consciente.»
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L’expert décrit un état d’esprit, dans certaines corporations, propice au racisme et aux dérapages. «Certains policiers sont drillés pour la «chasse», ils disent: “On va chasser les dealers, chasser le bougnoule” ou “On s’est fait du bien aujourd’hui, on a bien serré!”. Ceux qui s’insurgeraient n’osent souvent pas intervenir dans une structure encore très hiérarchisée et construite sur la redevabilité.» Il décrit également des interventions qui varient d’une fois à l’autre: «Quand vous avez une personne, en costard cravate (caricaturons), qui n’interagit pas à l’interpellation, l’action va souvent être très différente que lorsqu’il s’agit d’une personne qui, par exemple, porte une capuche. Dans le premier cas, ils vont simplement rappeler l’énoncé de l’interpellation, dans le second, possiblement la mettre au sol.»
Profilage racial vs adaptation au terrain
Certains rétorqueront qu’un policier peut être davantage confronté à certaines populations en lien avec le trafic de drogue, par exemple. Comment alors différencier ce qui relève du profilage racial ou d'une réponse à la réalité du terrain?