«Il faut en finir avec cette idée que le policier chasse»
Des débordements racistes surviennent régulièrement au sein de certains corps de police, ont révélé plusieurs articles de notre série. Comment y remédier? Frédéric Maillard, conseiller en gouvernance auprès de plusieurs polices suisses, nous livre une vision tout en finesse et sans tabou.
Frédéric Maillard connaît très bien la police, mais il n’en fait pas partie. Une expertise et une indépendance précieuses lorsqu’il s’agit d’obtenir un regard éclairé sur la question du racisme dans la police suisse.
Economiste de gestion, formateur et conseiller en gouvernance auprès de plusieurs polices suisses, il a également mis en place les branches comportementales du brevet fédéral de policier dès 2004. S’il insiste sur l’existence en Suisse de plusieurs «polices» avec des cultures différentes, une restructuration complète des pratiques et formations est selon lui nécessaire. Entretien.
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Quelle est votre réaction au rapport du groupe de travail de l’ONU paru cet automne, qui accuse la police de faire du profilage racial, d’humilier, voire parfois de tuer, comme dans le cas de Mike Ben Peter à Lausanne?
Frédéric Maillard — J’ai lu ce rapport du groupe de travail de l’ONU, ainsi que les précédents, et je ne suis guère étonné de ce constat. Je ne m’en insurge pas non plus, ce sont tant d’opportunités de restaurer nos pratiques et notre formation, qui méritent une restructuration complète pour mieux appréhender ces phénomènes de racisme et les contenir. On peut discuter de l’objectivité de ce rapport, mais je trouve très important de bénéficier de reflets de l’extérieur qui nous boostent, toute économie privée s’en réjouirait pour augmenter son efficience.
Si j’ai cependant un reproche à faire, c’est que ce rapport manque de nuances: il y a beaucoup de polices différentes en Suisse, jusqu’à 330 corporations et plus de 120 métiers au sein de la profession policière. De quoi parle-t-on? De quelle police, de quelle task force…? La philosophie varie d’une corporation à l’autre, ce qui explique pourquoi certains policiers et policières ne se sentent pas concernés, voire heurtés par ces conclusions. Cette diversité est d’ailleurs l’un des éléments qui complexifie les réformes.
Vous êtes toutefois en accord avec le fait que certains décès de personnes noires lors d’arrestations ces dernières années en Suisse sont en partie facilitées par une inclinaison raciste, même inconsciente.
Oui, mais il nous manque malheureusement des instruments pour radiographier les pratiques policières et leurs répercussions. D’abord, nous ne disposons pas des données de toutes celles et ceux qui ont vécu des interpellations et contrôles de polices indignes, désobligeants, voire violents, et qui n’en parlent jamais. Par vulnérabilité, crainte pour leur autorisation de séjour, ou autre.
Ils en parleraient peut-être s’il existait un organisme indépendant en mesure d’examiner les cas potentiellement abusifs, comme cela existe dans d’autres champs professionnels. Pour la police, on pourrait imaginer des commissions cantonales pluridisciplinaires, composées de policiers retraités venus d’un autre canton, mais aussi de sociologues, de formateurs, de juges hors fonction. Une telle commission serait réélue tous les deux ou trois ans.
Tout l'enjeu réside dans les instruments d'enquêtes. À qui sont-ils confiés? Au Ministère public? Aux polices d'autres cantons? Ou à un service indépendant, comme c’est le cas par exemple en Irlande du Nord? Ce dernier est doté de pouvoirs de polices complets et peut même investiguer de sa propre initiative. C’est une telle formule que je préconise pour nos cantons suisses. Actuellement, l’organe de médiation de Genève n’a pas le pouvoir d'enquête, celui mis en place récemment à Neuchâtel non plus. Pour une institution comme la police, garante de la démocratie et de la séparation des pouvoirs, ne pas vouloir d’entité indépendante, c’est inconcevable. Afin de faire toute la lumière, il faudrait aussi récolter les données venant des policiers eux-mêmes, dont certains souffrent du comportement de collègues mais n’osent pas en parler, en raison de la pression du groupe.
Quelles sont vos solutions pour remédier à la pratique, encore courante, du profilage racial? Les tickets de reçus pour chaque interpellation et les «bodycam» portés par certains policiers représentent-ils une façon de mieux contrôler ce qui se passe sur le terrain?
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