Enquêter sur le racisme quand on est blanche
Julie Eigenmann est l'autrice de notre grande enquête sur le racisme en Suisse. A multiplier les interviews et lire les 304 études et rapports oubliés sur le sujet, elle réalise qu’elle ne s’est jamais fait arrêter par la police et que personne n’a changé de place dans le bus pour éviter de la côtoyer. Oui, elle est blanche mais va tenter de comprendre la vie des autres, qui ne le sont pas.
Je suis blanche. Et je mène une enquête sur le racisme, notamment anti-Noirs, en Suisse. Un gage de confiance pour certains confrères journalistes et pour un certain public, qui sont rassurés par l’idée que je garde ainsi une distance avec mon sujet. Une indécence, au contraire, pour qui pourrait légitimement penser que je ne suis pas à même de comprendre tous les tenants et aboutissants du problème. Quoi qu'il en soit, je suis blanche.
Et parce que je suis blanche, avant de commencer à travailler sur le racisme en Suisse, je n’avais qu’une idée assez vague de cette thématique. Je pensais que les insultes, agressions ou discriminations existaient, bien sûr, mais étaient plutôt l’œuvre de quelques frappés ou extrémistes qu’il était rare de croiser.
Impossible, pas moi
Je ne pensais pas que les «micro-agressions», ce drôle de terme, pouvaient autant façonner un quotidien, ni que les biais de notre société pouvaient influencer à ce point un parcours de vie.
Je n’envisageais pas avoir pu moi-même faire preuve de maladresse, posséder certains biais ou faire preuve de racisme. Impossible, pas moi. J’ai revu certains épisodes de ma vie sous une lumière nouvelle. Par exemple? La fête d’Escalade, au collège, sur le thème «jungle». Je portais un déguisement «tribu cannibale», black face comprise. J’avais 15 ans. Était-ce dégradant, raciste? Certains camarades ont-ils vécu ce déguisement comme une insulte? Je ne m’étais jamais posé la question.
Tous ces moments que je n’ai pas vécus…
En travaillant sur le racisme en Suisse, j’ai réalisé que je ne m’étais jamais fait arrêter par la police. Qu’il était impossible, si je n’étais pas retenue pour un emploi, que ce soit à cause de ma couleur de peau ou de mon origine. Impossible également que l’on puisse être désagréable avec moi pour cette raison. Je me suis rendue compte que personne n’avait jamais remis en question le fait que je sois suisse. Qu’on n’avait jamais changé de place dans le bus pour n’être pas assis à côté de moi. Que personne ne faisait de lien, jamais, entre ma couleur de peau et certains traits de ma personnalité, ou certaines de mes actions.
J’ai réalisé, aussi, que j’avais débattu maintes fois de racisme avec des amis ou des collègues comme d’un sujet de société théorique, observé de loin, tout en pensant bien le comprendre.
En travaillant sur le racisme en Suisse, j'ai compris pour la première fois que j'étais blanche. Et que ceux qui ne l’étaient pas se le font sans cesse rappeler, depuis leur tendre enfance.