«Changez votre nom arabe en Pierre ou Paul»
Sami Zaïbi, journaliste au Temps après avoir travaillé pour Heidi.news, a découvert le racisme en signant ses premiers articles. «Quand un maghrébin vous dit bonjour, c’est déjà un mensonge», a estimé un lecteur de son enquête en 2020 sur les complotistes. Parfois, cela le touche. «N'aurai-je donc jamais ma place entière en Suisse? Serai-je toujours appréhendé à travers le filtre «arabe»? se demande-t-il.
Si vous me croisez dans la rue, vous aurez sans doute de la peine à deviner d’où je viens. Mon teint hâlé ne dit rien de mes origines tunisiennes. Hormis peut-être fin août, après des vacances au soleil. Je whitepass: dans l’espace public, on m’identifie généralement comme blanc.
Mon nom, en revanche, laisse moins de place à l’interprétation.
Je l’ai porté en bandoulière pendant ma jeunesse, fier de ma différence, de mes origines, du quartier multiculturel et populaire où j’ai grandi à Lausanne. Mes amis d’enfance sont italiens, afghans, congolais, serbes, péruviens, sri-lankais, tunisiens, et j’en passe. Mes premiers potes «100% suisses», je ne les ai rencontrés qu’à l’approche de la Matu. Puis, à chaque échelon, leur proportion s’est accrue.
Racisme latent à l’armée
De fait, je n’ai pas souffert de racisme pendant deux décennies. Du moins de façon consciente. La diversité me semblait constitutive de la Suisse, les initiatives xénophobes de l’UDC m’apparaissaient lointaines.
La première fois que j’ai porté mon nom comme un fardeau, c’était à l’armée. J’avais 23 ans. Avec mon camarade albanais de Payerne, nous étions les seuls de la section à porter des patronymes étrangers. Au moindre écart de conduite, avéré ou non, nous étions systématiquement dénoncés à nos supérieurs. Ce fut, pendant six mois, un racisme latent, muet, insidieux.
Racisme explicite comme journaliste
En devenant journaliste, ce racisme est devenu palpable. Explicite. Pas dans les rédactions, où mon patronyme a peut-être été plus une prime (et une rime) qu’un handicap, mais du côté des lecteurs. Il ne s’écoule pas un mois sans que je reçoive de commentaire à connotation raciste.
Le dernier en date, il y a deux semaines, sur Twitter: «immigré inassimilé et inassimilable».
Le plus choquant, je l’ai reçu il y a un an: un lecteur m’invitait à «faire comme Zemmour» et changer mon prénom «arabe musulman» en «Pierre ou Paul».
Le plus drôle, il y a deux ans et demi, suite à mon infiltration au sein la complosphère: «Quand un maghrébin vous dit bonjour, c’est déjà un mensonge».
La colère monte
Le plus souvent, je préfère en rire. Mais parfois, cela me touche. Comment ça, moi qui ai toujours vécu en Suisse, je n’y aurai donc jamais ma place entière!? Serai-je toujours appréhendé à travers le filtre «arabe», en bien ou en mal, quoique je dise ou fasse?
Alors la colère monte, irrépressible. Et je pense à toutes ces personnes qui ne whitepass pas. Celles et ceux qui ont la peau plus foncée, qui ne peuvent pas tricher, qui affrontent en permanence leur propre altérité dans le regard des gens.
Trouver les clés
Le racisme existe en Suisse. Il faut le dire et le redire, haut et fort. Y serait-il moins pire qu’ailleurs? Pas vraiment, ai-je découvert en contribuant à cette enquête. Tant dans les domaines de l’emploi, du logement que de la police, le racisme est aussi vivace que chez nos voisins.
Désormais, sans brosser un tableau plus sombre qu’il ne l’est, l’heure est venue, collectivement, de faire un effort de décentrement. Pour comprendre nos propres biais racistes, pour imaginer le vécu des personnes racisées, mais surtout pour trouver, ensemble, les clés pour dépasser ce regrettable état de fait.