En voiture dans le Far West palestinien, où les colons font la loi
Récit d’un trajet en voiture au nord de la mer Morte, au gré des rencontres inopinées. Une seule contrainte: toujours accueillir l’autostoppeur. Attachez vos ceintures, ici, les bandits de grand chemin règnent en rois. Et ils n’aiment pas les plaques palestiniennes.
La vallée du Jourdain, du lac de Tibériade au nord de la mer Morte, s’étend sur près d’un tiers de la Cisjordanie. Parce qu’elle se situe presque intégralement en zone C, cette terre fertile est quasi exclusivement contrôlée par Israël. Les colons y poussent aussi vite que les dattes. Ils seraient environ 11’000 à avoir répondu à «la promesse divine», au mépris du droit international, et cohabitent avec quelque 65’000 Palestiniens.
Pour ce périple, nous adoptons une règle: accepter dans notre véhicule chaque autostoppeur croisé sur la route. En échange de quelques paroles et bribes de vie, relatées sur les cahots du chemin. Voici nos trois rencontres inopinées.
① Une vie de bête
La voiture s’immobilise, bloquée par un troupeau de moutons. Clopin-clopant, les bestiaux traversent la route 449, qui descend de la banlieue de Jérusalem Est à la vallée du Jourdain. On a déjà vu moutons plus vaillants. Derrière la fenêtre, à droite, une dizaine de cabanes en tôle se détachent d’une colline aride et caillouteuse. Là vit la communauté bédouine d’al-Mu’arrajat, installée dans la région depuis la fin des années 1960.
Apparaît le berger, un homme au visage buriné par le soleil, encadré par un keffieh blanc. Muhammed Khaled Mlehat a 70 ans, «40 moutons, une femme et pas d’enfants». Et pas de temps à perdre pour la parlotte, sous peine de voir son troupeau se risquer du mauvais côté de la colline. Une fois seulement que Lucien, le photographe, s’est dévoué pour garder les moutons à l’œil, il accepte d’échanger avec moi quelques minutes.
Salam Alaykoum. Comment allez-vous? Difficilement. Depuis 8 ou 9 mois, les colons se sont installés vraiment très près d’ici, je ne peux plus aller faire pâturer mes moutons de ce côté.
Du doigt, il désigne l’autre côté de la route. A quelques centaines de mètres, un petit campement coupe l’accès au pan de verdure qui se dresse sur le versant de la colline d’en face. Les collines alentour sont bien plus arides.
Combien sont-ils, les colons? Ils sont une petite dizaine installés dans ce campement, uniquement des hommes. Quand ils veulent s’en prendre à nous, ils appellent leurs amis des colonies d’à côté. Des fois, ils sont plusieurs dizaines.
Il ramasse un caillou au sol et l’envoie d’un côté du troupeau, pour dissuader les bêtes de s’approcher du campement des colons.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu affaire à eux? Hier, ils sont venus vers moi alors que je surveillais mes bêtes et ils m’ont roué de coups.
Est-ce que vous avez un interlocuteur auprès de qui vous plaindre? Vous ne pouvez vous plaindre à personne sinon ils disent que vous les avez attaqués et vous vous retrouvez dans une situation encore plus difficile.
Comment faites-vous pour survivre? Je vends les petits pour la viande et avec les moutons adultes, je produis du lait et je fais du fromage.
Les moutons sont maigrelets. Certains boitent.
Sans herbe, qu’est-ce que vous pouvez leur donner à manger? Je suis obligé d’acheter du fourrage en ville. Je m’endette… Je dois vous laisser. Ma'asalama
Il apostrophe son troupeau avec des bruits de gorge rauques et s’en va le rejoindre en cahotant, comme ses bêtes.
② La palme de l’exploitation
Quelques minutes plus tard, deux jeunes Palestiniens apparaissent sur le bord de la route, le pouce levé. Alors que la voiture s’arrête le long de la glissière de sécurité, ils s’interrogent du regard. Oseront, oseront pas? Ils finissent par s’aventurer sur la banquette arrière. Pas vraiment le choix, il est 10 heures passées. Moussa, 19 ans, et Mohammed, 25 ans, sont en retard. Ils viennent de la même communauté bédouine que le berger, al-Mu’arrajat.
Où allez-vous? Travailler sur une exploitation de dattes.