Sur les routes de Cisjordanie, en zone C. Des blocs de béton coupent l'accès à une route aux voitures palestiniennes. | Lorène Mesot

Autoroutes pour les colons, bouchons pour les Palestiniens: bienvenue en Cisjordanie occupée

Jaunes, circulez; blanches, interdit. En Cisjordanie, la couleur de votre plaque d’immatriculation indique votre identité et détermine votre liberté de mouvement. La restriction des déplacements est l'un des principaux outils utilisés par Israël pour imposer son régime d'occupation à la population palestinienne des territoires occupés. Notre exploration se poursuit derrière le pare-brise d’une voiture coréenne, plaques blanches, à la sortie de Jéricho, dans un des 500 points de contrôle qui entaillent les routes de Palestine.

Publié le 12 mars 2023 11:16. Modifié le 07 avril 2023 23:04.

Le nez dans le coffre des véhicules qu’ils inspectent, les soldats ne lui prêtent pas attention. Derrière le pare-brise, Ayman*, mon guide palestinien, les scrute. Ils sont une petite dizaine, ce 3 février, à tourmenter les automobilistes, fusil d’assaut en bandoulière.

Nous sommes à la sortie de Jéricho, en route pour la mer Morte, coincés dans une foule de pare-chocs poussiéreux. L’attente – une heure déjà – a un goût d’éternité. Lentement, Ayman sort la main de sa poche de jeans, la remonte le long de sa poitrine. Le bras s’allonge, les yeux se plissent. «Commençons la guerre», me lance-t-il, une étincelle de défi dans les prunelles.

«Tut tuuut», «tuuuuuut». Le coup de klaxon est aussitôt suivi de milliers d’autres. C’est la complainte des résistants de l’embouteillage, la partition cacophonique des insoumis sans pouvoir. Il y a une semaine, un Palestinien a tiré un coup de feu près d’un restaurant tenu par un Israélien, dans les environs. Son moment de terreur a fait plouf, l’arme se serait enrayée après le premier coup, sans blesser personne. L’individu n’a pas encore été attrapé. En réponse, c’est jour de punition collective. L’armée israélienne a bouclé la ville et inspecte chaque voiture qui en sort. Elle prend son temps.

Comment je suis arrivée dans cette galère

Début février, j’ai débarqué dans les territoires palestiniens occupés en arrivant d’une Suisse où ils hantent les journaux télévisés. Depuis quatre générations, la Cisjordanie, Gaza et Israël sèment leurs morts dans les médias. J’ai atterri avec des connaissances approximatives construites par mes cours d’histoire, des articles de presse et des débats télévisés. Maigre bagage, peut-être parce que je me sentais peu concernée, peut-être par paresse intellectuelle et sûrement parce que, depuis toujours, tout le monde répète que «le conflit israélo-palestinien, c’est compliqué». Vague représentation aussi de la Cisjordanie, ce territoire à peine plus grand que le canton du Valais, occupé par Israël depuis 1967 et qui constitue, avec la bande de Gaza et Jérusalem-Est, ce que nous appelons aujourd’hui la Palestine.

La Cisjordanie, entre la Jordanie et l’Etat hébreu, c’est 2,8 millions de Palestiniens et 475’000 colons israéliens. Une terre trois fois sainte, façonnée, depuis 1947, par trois guerres, deux soulèvements palestiniens (les Intifada) et un mur de séparation de 700 kilomètres que la Cour internationale de justice estime contraire au droit international.

Des chiffres et des dates mille fois répétés et oubliés. Mais pas cette fois-ci. Parce que sur la banquette avant, les morts vous rattrapent. 78 Palestiniens et 13 Israéliens ont été tués en Cisjordanie et à Jérusalem-Est depuis le début de l’année (au 10 mars). Derrière le pare-brise, l’Histoire s’écrit au présent et à bout portant.

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Sur la route, entre Jéricho et Bethléem en fin de journée. En face, c'est Jérusalem. | Lorène Mesot

«Vous voulez qu’ils fassent les poulets?»

La fenêtre de la portière avant s’ouvre sur une jeune soldate aux ongles fraîchement manucurés, qui demande nos papiers d’identité. Il faut ouvrir le coffre et la boîte à gants, le canon de son arme à hauteur de nos yeux. Elle fait un signe, Ayman remet le moteur en marche. Le Palestinien est né et a grandi dans les territoires occupés. Il a sans doute passé plusieurs milliers de check-points dans sa vie mais n’est jamais confiant. Parce que c’est arbitraire. Parce qu’il ne sait jamais ce qui va lui tomber dessus.

«Une fois, je rentrais avec des amis en fin de journée. J’avais un problème de genoux, je ne pouvais pas quitter la voiture sans mon fauteuil roulant. Au point de contrôle, un soldat a fait sortir tous mes amis du véhicule. Ils ont dû s’aligner debout, les mains sur la tête. Le soldat est revenu dans la voiture, il s’est assis à côté de moi, il m’a demandé: «Qu’est-ce que tu veux que je leur fasse faire? Est-ce que ça te plairait qu’ils dansent comme des poulets?» Je lui ai demandé pourquoi il faisait ça, je voulais juste que mes amis reviennent. Il a ri, il est sorti et les a fouillés, son arme pointée sur eux. Ils sont remontés en voiture en tremblant.»

La voiture roule désormais bon train en direction de la rivière du Jourdain, qui marque la frontière entre la Cisjordanie et la Jordanie. De part et d’autre, des champs de mines couleur sable. Sur certaines parcelles, les mines cèdent la place à des cars de touristes chrétiens venus des quatre coins du globe pour prier dans la rivière où Jésus aurait été baptisé par Jean-Baptiste.

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Il existe aussi les plaques d'immatriculation noires, celles de l'armée isréaliennes. Ici à la sortie de Jéricho. | Lorène Mesot

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