A Jérusalem, entre deux mondes qui se haïssent: «Je me définis comme Arabe chrétien et c'est tout»
D’origine palestinienne et citoyen d’Israël, Djibril* se définit comme Arabe chrétien. A 22 ans, il a passé toute sa vie dans le vieux Jérusalem, pris en étau entre deux communautés à couteaux tirés. Il raconte le racisme ambiant et comment la politique s’invite jusque dans les études. Lui n'a pas de camp, mais il doit jouer au funambule pour éviter les ennuis.
Dans les ruelles de la Vieille Ville de Jérusalem, touristes, pèlerins, locaux et soldats israéliens se croisent, se toisent. La tension se lit dans le regard du marchand palestinien qui pousse son chariot sous les yeux de Tsahal et dans la main, crispée, du policier israélien sur son arme. Quand un juif ultra-orthodoxe croise un Palestinien en qamis en route vers l’esplanade des Mosquées, c’est à qui cédera sa place dans la rue. Il n’y a pas de petit combat, pas de petite victoire.
Et pris entre les deux communautés, il y a des chrétiens, comme Djibril (prénom modifié). Le jeune homme aux yeux bleu-gris et à la peau mate a grandi dans le quartier chrétien de la cité millénaire, qui en compte aussi un musulman, un juif, un arménien. Moins d’un kilomètre carré pour les trois grandes religions du Livre.
Djibril a grandi avec l’arabe et choisi d’apprendre l’hébreu, fréquenté des écoles palestiniennes et l’université hébraïque, a des amis juifs, mais subit de plein fouet le racisme. «Difficile à comprendre?», rit-il, accoudé à la table du restaurant où nous nous retrouvons, désert à cette heure de la matinée.
Un peu, oui. Alors il explique.
«Je me suis battu avec les juifs et les musulmans»
«Je suis né en décembre 2001. J’ai vécu toute ma vie dans la Vieille Ville avec ma mère et ma sœur aînée, mon père nous a quittés très tôt. J’essaie de me débrouiller depuis que je suis tout petit.
Laissez-moi vous dire quelque chose. La vie d’un enfant ici, c’est vite vu. J’imagine que vous avez aperçu le quartier. C’est très serré, les bâtisses sont toutes petites et très proches les unes des autres. L’intimité n’existe pas. C’était encore plus difficile pour ma mère que pour moi quand j’étais petit, on ne pouvait rien garder pour nous. Et à l’école, j’avais du mal à suivre les cours parce que j’ai un déficit d’attention. Mais quand j’y pense, je me dis que tout cela a fini par forger ma personnalité.
En revanche, la communauté est très solidaire. Prenez le Samedi saint par exemple, la veille du dimanche de Pâques. Toute la communauté chrétienne se réunit, trois ou quatre mille personnes. Tout le monde se connaît et s’entraide, peut-être parce que nous sommes en minorité. A Jérusalem, les chrétiens ne sont pas vraiment appréciés. Vous savez, en grandissant, je me suis battu à la fois avec les juifs et avec les musulmans.»
Quelles sortes de disputes?
«Le genre sérieux. On vit les uns sur les autres. Chaque matin, ça se frotte d’un côté ou de l’autre. C’est difficile pour moi. Pour être honnête, je ne suis pas un passionné de politique. J'essaie d’être fidèle à mes valeurs, mais sans me mêler de politique. Ici, si vous vous interférez, ça finit mal. Alors vous apprenez à naviguer sans faire de vagues.