Le renard et l’oligarque
Le premier service, gracieux, rendu par Bouvier à Rybolovlev est déjà un acte de séduction qui amènera le Russe, comme le corbeau de La Fontaine, à lâcher un fromage de plusieurs centaines de millions. Chagall, Picasso, Modigliani, Van Gogh… de cette rencontre originelle, fortuite ou pas, découlera l’achat d’une collection digne du Petit Trianon. Le tout sous l’égide d’un étrange chaperon bulgare, Tania Rappo, qui sera à la fois la meilleure amie de l’un et la meilleure alliée de l’autre, avec un intéressement mirobolant.
Nous voici arrivés à la rencontre fondatrice, sans laquelle vous ne seriez pas, chère lectrice, cher lecteur, en train de commencer le troisième épisode de cette série sur l'extraordinaire destin d’un déménageur genevois. Mais comme pour tous les moments cruciaux, il y a plusieurs versions.
Ce qui est certain: nous sommes en août 2002 et la scène se déroule aux Ports Francs de Genève, une institution peu connue des Genevois eux-mêmes mais qui abrite tout de même des biens assurés pour plus de 100 milliards de dollars. L’enjeu de cette première rencontre est un tableau de Marc Chagall, Le grand cirque, peint par l’artiste dans la deuxième partie de sa vie.
Pour le reste, les versions diffèrent. Prenons d’abord celle du patron de Natural Le Coultre (NLC), entreprise genevoise de déménagement qui s’est transformée les années précédentes en transporteuse d'œuvres d’art. NLC loue à l'époque déjà des espaces importants aux Ports Francs. Yves Bouvier a alors 39 ans. Il est blond, habillé simplement et doté d’un accent genevois qui le rend sympathique. Il nous raconte que de l’entrée des Ports Francs aux canapés rouge vif, il observe un homme qui hurle au téléphone, un peu plus loin. «Vert de rage, il venait d’acquérir une importante peinture de Chagall mais le certificat d’authenticité manquait. En plus cette peinture devait partir en prêt durant trois mois dans un musée en Israël. Selon son mode de pensée, il était convaincu de s’être fait arnaquer.»