L'envol suspendu des ports francs d'Yves Bouvier
Yves Bouvier était surnommé «le roi des ports francs». Il était en passe d’en devenir l’empereur, avec des franchises partout sur Terre, quand il a été stoppé net par son arrestation à Monaco et la guerre déclenchée par celui qui fut son meilleur client, Dmitry Rybolovlev. Ses deux Freeport,au Luxembourg et à Singapour, tournent au ralenti. Le premier est à moitié vide et le second n’a jamais rapporté d’argent. Son principal locataire, la maison d’enchères Christie’s, l’a quitté récemment, de même que plusieurs banques qui y stockaient de l’or. Pourtant, le Genevois rêve encore de nouveaux ports francs, à Dubaï ou à Vladivostok, mais doit attendre la fin du conflit avec l’oligarque russe.
Le taxi s’arrête devant un bâtiment gris et menaçant, sous une pluie battante. Un gardien actionne le sas du Freeport du Luxembourg sous le regard du grand-duc Henri et de son épouse María Teresa, dont un portrait trône au mur. Accessible directement depuis le tarmac de l’aéroport, cet ensemble à 60 millions d’euros de barbelés et de béton des architectes genevois du bureau 3BM3, croisement entre une base sous-marine et un film d’espionnage, a été pensé pour abriter de grands trésors. Onze mille mètres carrés pour 700 000 bouteilles de vins, des voitures de collection, des tableaux. Appareil de reconnaissance des flux sanguins des doigts de la main, caméras thermiques, système anti-feu à l’azote, oscilloscope et matériel militaire, alerte connectée à la police luxembourgeoise qui intervient en trois minutes: le dispositif de sécurité impressionne mais ne parvient pas à dissiper l’impression que l’endroit tourne au ralenti.
Philippe Dauvergne, le directeur, ne va pas tarder à arriver. Dans la salle d’attente luxueuse traîne un exemplaire du rapport «Art and Finance» de la firme d’audit Deloitte. C’est là un coup de génie du transporteur genevois Yves Bouvier: avoir perçu très tôt que l’art allait être une valeur refuge, et les ports francs, un refuge tout court. Comme à Singapour, dont il a construit le port franc en 2010, il convainc le gouvernement luxembourgeois de Jean-Claude Juncker d’adopter des lois spéciales favorisant cette activité. Ce sera fait en 2011 ,et le 17 septembre 2014 a lieu l'inauguration, en grande pompe. Tout le gouvernement et la famille royale du Grand-Duché sont là, bercés par le Philharmonique du Luxembourg.