À l'école de l'adrénaline
Yves Bouvier est parti de rien, ou presque. Son père a été l'apprenti modèle, l'employé et le repreneur de l'entreprise de transport et déménagement Natural Le Coultre, transmise à son fils en 1997. Mais il a fallu qu'elle transporte des œuvres d'art au lieu de canapés Ikea pour qu'Yves, qui a été un des pionniers du snowboard en Suisse, skie moins et travaille plus. Il travaille tant qu'il devient le partenaire privilégié de grands musées et de beaucoup de galeries. À qui il propose de ne pas seulement transporter les tableaux, mais aussi l'argent de leur vente.
C’est un quartier de Genève qui sent le neuf, avec ses baies vitrées, ses structures audacieuses, ses open-space. Organisation mondiale du commerce, Organisation mondiale de la météorologie, Campus Biotech: à Sécheron, impossible d’ignorer la marche du monde. L’argent et les projets ont propulsé cette ancienne zone ouvrière dans le XXIe siècle. Tous les bâtiments ont été transformés, sauf deux: les numéros 6 et 8 de l’avenue de Sécheron, restés gris et ternes, figés dans les années 1970.
Quelle étrange anomalie quand on connaît leur propriétaire, brassant les millions par centaines et multipliant les projets d’une folle audace aux quatre coins du monde: Yves Bouvier.
La clé du mystère, la voici: celui qui était jusqu’en 2015 surnommé «le roi des ports francs» est occupé par des procédures judiciaires sur trois continents. Il a d’autres chats à fouetter que de rénover ces bâtiments, qui abritaient le siège et les dépôts de son entreprise familiale Natural Le Coultre et qui, par ailleurs, ont été séquestrés de manière conservatoire par les autorités fiscales suisses. Estimant qu’il avait omis de déclarer une part substantielle de ses revenus, celles-ci lui réclament 165 millions de francs, sans compter les amendes et intérêts de retard.
Sécheron veut dire «pré en pente» en patois genevois. Car c’étaient des pâturages à vaches qui occupaient les lieux jusqu’au XIXe siècle, quand l’industrialisation massive y a tracé des rues à angle droit en dessous du chemin de fer. Ils furent jusqu’à 2000 ouvriers, manœuvres, fraiseurs et autres contremaîtres à s’engouffrer chaque jour dans la cathédrale de brique rouge de la société anonyme des Ateliers de Sécheron. On y a fondu et assemblé des locomotives électriques, des diodes à vapeur de mercure, des équipements de centrales hydroélectriques, des disjoncteurs, des redresseurs de traction et des régulateurs de vitesse pour trains, métros, tramways et trolleybus.
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