Il faut sauver le bébé Vladislav
C’est l’histoire du médicament le plus cher du monde que nous allons vous raconter en 10 épisodes. Il traite les bébés atteints d’une maladie génétique en une seule injection. Mais elle coûte 2,1 millions de dollars. En Ukraine, les parents de Vladislav n'ont réuni que 5% de la somme.
«Faites-moi un miracle!» Vladislav est déguisé en lutin, il est assis dans un petit traîneau de bois au milieu des sapins de Noël. Au coin de l’image postée sur les réseaux sociaux, il est inscrit en anglais: «levée de fonds pour obtenir le Zolgensma». Et le prix du traitement: 2,3 millions de dollars. La mère de Vladislav a les traits tirés. Chaque question suscite chez elle un soupir infini et un silence pesant. «Lorsque j’ai appris le diagnostic de mon enfant, le 24 novembre dernier, je n’ai pas dormi pendant six jours. Depuis, je ne pleure plus. Je n’ai plus de larmes.»
La famille habite dans un village de l’Ouest ukrainien, près de la frontière roumaine. Vadim est garagiste, Vika est inspectrice environnementale. Ils ont 30 ans. Leur premier enfant, Vladislav, naît le 25 février 2021. «Au quatrième mois, j’ai constaté que Vlad ne roulait pas sur lui-même. A cette époque, je suivais le compte Instagram d’un autre enfant ukrainien qui souffre d’une maladie génétique, la SMA, et auquel je faisais des dons. J’ai prié pour que mon enfant ne soit pas atteint du même mal.»
Immense levée de fonds
Le diagnostic tombe quelques jours plus tard. Vladislav est atteint de la même maladie dégénérative, l’amyotrophie spinale ou SMA. C’est la principale cause génétique de mortalité des bébés, qui détruit les neurones moteurs jusqu’à l’asphyxie. «On a fait nos recherches et immédiatement on a découvert qu’il existe depuis deux ans un traitement extraordinaire, le Zolgensma. Sauf qu’il coûte plus de 2 millions de dollars et qu’il n’est pas remboursé en Ukraine.»
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Le couple se lance alors en novembre dernier dans une immense levée de fonds ; des amis, des cousins, les autorités et les médias locaux les accompagnent. C’est une campagne qui conjugue la vente de pâtisseries sur les marchés, les concerts de chœurs folkloriques, des marathons caritatifs organisées par les écoles de la province, mais aussi un matraquage numérique qui passe par des dizaines de stories chaque jour où le visage de Vladislav, 11 mois, ses grands yeux bleus, servent d’argument imparable.
«Vous ne voudriez pas que Vlad arrête de sourire, n’est-ce pas?»
Depuis plusieurs mois, nous enquêtons sur cette thérapie génique de pointe, une injection unique commercialisée par Novartis, qui permet d’arrêter le développement de la SMA chez les bébés atteints du type le plus agressif de la maladie. Depuis plusieurs mois, nous sommes confrontés à la même attente, parfois désespérée, des parents.
Un coût inaccessible à la plupart des humains
Nous avons rencontré des familles qui vivent dans un des 40 pays où le médicament a été approuvé - en Suisse, il bénéficie depuis juin d’une autorisation temporaire. Nous avons parlé avec des entrepreneurs indiens spécialisés dans la levée de fonds, avec des familles qui ont participé à la loterie organisée par Novartis pour offrir une centaine de doses aux enfants malades, avec la chercheuse française qui a trouvé le mécanisme révolutionnaire à l’origine du Zolgensma, nous sommes allés dans l’usine de la banlieue de Chicago où le médicament est fabriqué.
Partout, la même sémantique, la même promesse contradictoire : celle d’un élixir capable de sauver les bébés mais dont le coût est inaccessible à l’immense majorité des familles concernées.
Cette histoire nous force à interroger le fonctionnement même de l’industrie pharmaceutique, la puissance des thérapies géniques mais aussi l’hyper-financiarisation du secteur et notre propension à exiger de la médecine qu’elle corrige la fatalité, quoiqu’il en coûte. L’odyssée du Zolgensma pose frontalement la question du prix de la vie.
Seulement 5% de la somme nécessaire
«Même si tous ceux qui animent la campagne pour sauver Vladislav vendaient tout, maison, voiture, nous ne parviendrions encore qu’à une fraction de la somme. En Ukraine, le salaire moyen est de 200 dollars.» Depuis huit semaines qu’ils mènent campagne, les parents de Vlad n’ont réuni qu’une centaine de milliers de dollars, soit à peine 5% de la somme nécessaire pour que l’enfant bénéficie d’une injection dans un hôpital de San Antonio, au Texas.
L’institution a accepté de traiter l’enfant, mais le compte-à-rebours s’accélère. Le Zolgensma est destiné aux enfants de moins de 24 mois et surtout de moins de 13,5 kilos. Au-delà de ce poids, il faudrait injecter une quantité trop importante de substance active qui serait extrêmement toxique pour Vladislav. «Alors on réduit les hydrates de carbone pour qu’il ne grandisse pas trop vite. Mais il faut garder les protéines parce que la maladie mange ses muscles.»
Vika, la mère de Vladislav, se réveille chaque nuit toutes les heures pour tourner son enfant parce qu’il respire avec peine. Elle nous montre le berceau dans lequel le petit corps est assoupi.
La peur de l’invasion russe
«En ce moment, la star dort. Un photographe vient de passer à la maison pour prendre de nouvelles poses. On en a besoin pour la campagne.»
Dans le salon, la télévision fait le récit des mouvements à la frontière orientale. «On vit avec la peur de l’invasion depuis 2014.» Il y a quelques jours, sur les pages Facebook et Instagram de Vlad, ils ont posté une image du drapeau ukrainien, avec la photo du poupon, celle d’un guerrier en armure et ce texte: «Aujourd’hui, nous célébrons les forces armées ukrainiennes qui protègent nos frontières. Vlad aussi a besoin d’une armée. Une armée de personnes attentionnées qui puissent sauver notre fils.»
Cette enquête d'Arnaud Robert et de Paolo Woods paraît en version resserrée dans la revue française XXI, avec laquelle Heidi.news a noué un partenariat pour partager, voire coproduire de grands récits, enquêtes et reportages. Les lecteurs et lectrices de Heidi.news peuvent recevoir le dernier numéro gratuitement, en cliquant ici