Quand Bollywood s’empare des toilettes pour un film à succès
La question des toilettes fut longtemps un tabou en Inde. Jusqu'à ce que le Premier ministre Narendra Modi en fasse l'objet d'un grand discours en 2014, et que Bollywood, l'industrie indienne du cinéma, en fasse un blockbuster trois ans plus tard.
L’un des plus importants succès de Bollywood en 2017 est un film qui s’ouvre par une scène de défécation à ciel ouvert. Un groupe de femmes attend la nuit pour se glisser dans les champs et se soulager, tandis qu’un motard s’amuse à les éclairer. «Toilettes: une histoire d’amour» (Toilet: Ek Prem Kahta) est l’histoire d’une jeune promise qui refuse de se marier, parce que son fiancé n’a pas de cabinet chez lui.
Ce blockbuster est devenu l’un des outils de promotion du programme Swachh Bharat même s’il n’a, apparemment, pas bénéficié de soutien direct du gouvernement. Dans son bureau de Film City, au nord de Mumbai, aux côtés des statuettes de Ganesh, le réalisateur Shree Narayan Singh a encadré un tweet de Bill Gates qui décrétait que son film était l’une des meilleures choses survenues en 2017: une «romance de Bollywood qui traite du défi auquel l’Inde fait face concernant l’assainissement.»
«Le jour où j’ai vu ce tweet, c’était mieux qu’un Oscar!» Singh me raconte sa propre enfance, dans une haute caste très religieuse de l’Uttar Pradesh. Il possédait des toilettes à domicile, dans la cour, mais chaque fois qu’il se rendait dans la demeure familiale à la campagne, tout le monde allait déféquer dans les champs alentour:
«Je n’aimais pas faire caca dehors. Alors, j’y allais vers midi quand il n’y avait personne. Le matin, c’était encombré. Pour les femmes, c’était encore pire. Elles devaient se lever avant l’aube pour ne pas être vues, mais avec le risque d’être attaquées.»
Quand un scénariste vint le voir pour lui présenter son histoire de toilettes, Singh décide de prendre le risque: «Le fait que la star Akshay Kumar accepte de jouer dans le film a été décisif.» Mais il a fallu se battre pour que le mot «toilettes» apparaisse dans le titre.
«C’était très émouvant. On a filmé chez moi, dans l’Uttar Pradesh. C’est rare qu’un film mainstream de Bollywood aborde avec autant de respect la culture paysanne de l’Inde et les drames liés à la pauvreté. Je ne m’attendais pas à un tel succès.»
La sortie elle-même a été un marathon de premières dans les campagnes des États du Nord, dans des cinémas improvisés, sur des places publiques, dans des écoles: «Je ne sais pas combien de fois j’ai participé à des séances publiques, c’était absolument magnifique d’entendre les histoires des gens, la façon dont ils voulaient eux aussi adopter des toilettes.»
Vu le succès du film, les producteurs travaillent-ils déjà à une suite. Toilettes 2, le retour ?
«Je fais des films pour divertir les gens mais, dans un pays comme l’Inde, le cinéma est aussi une voie d’accès privilégiée à l’information. Alors, en tant que réalisateur, je me sens une responsabilité.»