Manifeste pour un Nouveau Romantisme, ou romantisme 2.0
Charles Flamand est l’auteur de Mercoeur, «le roman construit en temps réel», un feuilleton numérique et écrit des courts métrages. À sa façon, il couvre la crise sanitaire du coronavirus en publiant sur Instagram de petits détournements où il situe des personnages de films cultes dans les situations inédites que nous connaissons tous aujourd’hui.
Né au XVIII siècle en Allemagne en réaction à l’hégémonie du classicisme Français et de ses lumières, ayant trouvé des échos en France au XIXe siècle avec des personnalités littéraires et politiques majeures telles que Chateaubriand, Victor Hugo ou Lamartine, le romantisme s’est ensuite éteint comme un feu dont on aurait négligé de remuer les braises et de nourrir le foyer en bois sec, mais ce feu connaît aujourd’hui un second souffle, un souffle qui ravive brillamment sa flamme. Reviendrait-il à la mode ce bon vieux romantisme ? Il semble en tout cas que la situation actuelle le permet.
Après avoir été si souvent méprisé, moqué, rangé quasiment dans la honte au fond d’un tiroir que nous avons fermé à clé, voilà que la clé de ce tiroir nous retombe entre les mains, à cause d’un micro-organisme qui se propage rapidement et de manière incontrôlable sur tous les continents, avec pour résultat de mettre le genou de l’humanité à terre, et de nous forcer à arrêter nos vies pendant quelques mois. Alors, nous voilà réfugiés à la maison, pour ceux qui ont cette chance, et voilà que nous ouvrons ce tiroir, et que le romantisme peut sortir de ce tiroir, tel un cri du cœur trop longtemps étouffé, il peut sortir du silence où il a été plongé pendant un siècle et demi, ainsi que de l’auto censure qui s’était abattue sur lui. Disons le tout de suite, ce cri du cœur est une chance pour les Hommes. Le romantisme s’apprête à reprendre le flambeau de la pensée et peut nous aider à préparer un monde meilleur, à préparer le monde d’après.
Nous sommes au début d’un renouveau philosophique, d’une rupture idéologique comme l’histoire en a tant connu au cours des siècles. A nous de prendre conscience de cette opportunité d’abord, à nous de la saisir ensuite!
A la fin des années 70, Roland Barthes expliquait pour commenter la sortie de son Fragment du Discours Amoureux, que l’amour, dans sa version romantique, n’était plus à la mode. Que le romantisme était devenu une preuve reconnue par tous d’évidente bêtise, et qu’il s’était même changé en un tabou. Sur ce sujet, comme sur beaucoup d’autres, Barthes a eu raison. Il y a depuis 40 ans un tabou de la sentimentalité, là où il y avait autrefois un tabou de la sexualité. En effet, on risque aujourd’hui beaucoup plus à afficher son romantisme dans ses relations au monde et aux autres que ses atouts physiques ou sa richesse matérielle sur les réseaux sociaux. Le romantisme est un signe de faiblesse face au pouvoir du sexe et de l’argent. On risque en tout cas de faire beaucoup moins de bruit sur Internet en criant son amour des nénuphars et des couleurs flamboyantes de l’automne qu’en criant le sien pour les vêtements de marques et les voitures de courses. La norme actuelle est à la sexualisation, voire à la pornographie de nos corps, de ce que nous sommes, et ce que nous avons. Le terme de sentimentalisme relève quant à lui de l’injure. Baiser le monde semble de tous points de vue devenu plus acceptable que de l’aimer et de le contempler. En témoigne aussi l’appétit des deux dernières générations pour les carrières de la finance. Cette finance qui ne repose sur rien d’autre que sur l’enrichissement personnel de quelques uns au détriment du plus grand nombre. La finance est une version algébrique de la pornographie. Il s’agit de jouir, de jouir encore, mais de jouir du chiffre, et surtout de jouir en soumettant l’autre.
Ce qui fait logiquement du romantisme, car c’est ce qu’il fut originellement, une nouvelle voie de subversion, une nouvelle voix de résistance. A nous de nous engager dans cette voie. A nous de nous faire l’écho de cette voix. Nous pouvons entrer en résistance ! Et retrouver cette harmonie perdue, ce cordon ombilical avec le monde que nous habitons.
Car au delà du rapport romantique au sentiment amoureux, c’est le rapport romantique au monde qui est passé de mode. Ce monde, il ne nous a pas suffi de le contempler, de nous immerger en lui, il a fallu que nous nous l’approprions.
Nous l’avons vaincu, ce monde, nous l’avons privatisé, plastifié, et vendu au plus offrant.
Des terres, aux mers, aux animaux, aux semences, c’est réussi, aujourd’hui le monde est à nous. Du moins c’était encore récemment notre illusion. Car cette illusion est bousculée par la pandémie que nous traversons et qui nous invite à repenser notre rapport avec lui, en nous séparant pour un temps indéfini de lui. Notre belle et grande tour de Babel, unifiée par la langue anglaise, chatouillant les nuages, consumant les richesses de la Terre, tangue maintenant, et risque de s’effondrer sous nos yeux sidérés. Pour devenir une ruine ; ruine d’ailleurs appréciée des romantiques.
Aujourd’hui, le fait est qu’on s’émeut plus facilement d’une nouvelle paire de Nike que d’un coucher de soleil à l’horizon. Rien d’étonnant à ça : nous vivons une époque du règne de la nouveauté. Or il n’y a rien de plus ancien que ce bon vieux soleil.
Aujourd’hui, en ces temps de confinement, et d’isolement forcé, un nouvel espace et un nouveau temps se libèrent. Un espace et un temps où le monde ne produit plus de Nike et où, à la place du consumérisme, le romantisme peut s’engouffrer. On redécouvre le goût des choses simples, et gratuites, comme la beauté de la nature, jusqu’alors perçue comme inutile, sauf quand nous étions en vacances peut-être. De la même manière que les vacances sont des anomalies dans nos vies individuelles de labeur et de travail, cette pandémie est une anomalie à l’échelle de l’humanité. Partout en Europe, en Asie, en Amérique, on s’émerveille du retour de la nature dans nos rues vidées d’Hommes. On se sent de nouveau faire partie de l’océan, des forêts, des montagnes de tous ces endroits pour la raison simple qu’ils nous ont été pour notre plus grand malheur interdits. Loin de la nature nous crions notre amour pour elle, notre besoin d’elle. Elle est redevenue désirable car elle nous manque. Mécanique logique. Nous l’avions oublié : mais de cette nature nous faisons toujours partie.
Dans le bunker de notre confinement, incapables encore de trouver la solution à la crise sanitaire, le romantisme est une fenêtre ouverte sur le monde. Il suffit de regarder par cette fenêtre, de sentir le vent frôler nos joues, la lumière du matin nous éblouir et la chaleur du printemps nous envelopper. Nous avons le temps pour ça. Il y a fort à parier que nous n’oublierons pas ces quelques mois suspendus dans la beauté. De nouvelles habitudes seront prises. Des habitudes qui feront la part belle aux bonheurs simples et à ces tous ces petits riens qui nous semblaient jusqu’alors futiles.
Etre romantique est loin d’être futile. C’est encore moins de la bêtise, c’est peut-être la plus grande preuve d’intelligence aujourd’hui. Ce qui nous sauve individuellement maintenant dans le confinement et ce qui nous sauvera collectivement demain dans le déconfinement.
Le romantisme est une façon de vivre, une manière d’être. Une paisible manière. Une tranquille façon. Sensible et intelligente. De vivre en accord avec le cours des choses, sans ressentir le besoin de bousculer ce cours, car être romantique c’est avant tout prendre conscience que ce cours ne dépend pas de nous mais que nous dépendons bien de lui. Si chaque homme, chaque femme, vivant sur la planète choisissait cette manière de vivre, cette façon d’être, les guerres, les luttes, les souffrances et toutes les injustices qui sont à l’œuvre encore aujourd’hui, seraient de l’histoire ancienne. Malheureusement, il appartient à chacun de faire ce choix. Et peu en ont l’envie, encore moins la capacité. Le romantisme est donc aussi un acte politique, un projet révolutionnaire et pacifique. En plus d’être un réflexe de survie pour notre espèce.
Être romantique, je ne vais pas user de définitions que l’on connaît tous, ou qu’un simple clic sur Google permettra de connaître à son tour, être romantique je crois que c’est en quelque sorte avoir le cœur plus gros que la raison. C’est faire le choix de ne pas tout comprendre, pour mieux sentir l’invisible. C’est accepter le mystère de la vie pour saisir la beauté qui en transpire.
Être romantique, c’est aussi nous rapprocher des animaux, de ces êtres vivants qui sont les plus romantiques de la Terre, de ces êtres qui pensent avec leur cœur et sont incapables de faire du mal avec intention de le faire. Les animaux ne sont pas dans un rapport de conquête avec le monde. Ils sont dans un rapport de survie, de défense, d’équilibre et d’harmonie avec lui. Aujourd’hui, nous redécouvrons le monde tel qu’il est, sublime, comme un orage, comme une avalanche, comme une vague immense, sublime : c’est à dire aussi beau qu’inquiétant. C’est cette relation au sublime que nous avions perdue, et que nous avons l’occasion de retrouver aujourd’hui. La vie est inquiétante, oui, mais elle est belle !
Nous les hommes avons le privilège de la raison mais c’est aussi notre châtiment, notre fardeau en héritage.
C’est la raison qui a mené le monde là où il en est aujourd’hui.
C’est la raison qui a transformé le cours de l’histoire en un cours de bourse.
C’est la raison qui a changé le hasard des rencontres en un algorithme déterminant nos prochaines relations. Je swipe. Tu swipes. On matche. Ça y’est nous nous aimons. C’est la raison qui a fait que le coup de foudre n’est plus permis. Un clic sur Google a finalement réussi à abolir le hasard, et le coup de dés d’Apollinaire par la même occasion.
C’est la raison qui veut que l’on s’approprie toutes choses que l’on désire plutôt que de vivre en paix et sur un pied d’égalité avec elles. C’est la raison qui nous pousse à instrumentaliser nos semblables, à oppresser les plus vulnérables. C’est la raison qui veut que l’on soumette et commercialise la nature. C’est la raison qui veut tout pré-fabriquer dans nos vies, nos amours, nos amitiés, nos vacances, nos carrières. C’est la raison qui veut nous rassurer et qui par la même nous perd dans l’illusion, le mensonge, le factice. Ce sont les petits calculs de notre raison.
Mais la raison est bien plus pauvre que le coeur. On ne sera jamais surpris par elle. Alors que le coeur nous surprendra toujours. Alors, puisque nous en avons l’occasion, laissons-nous encore une fois surprendre par lui !
L’Homme romantique a comme Turner ou Hubert Robert, le goût des ruines, couvertes de lierre et de lichen, sous des crépuscules enflammés, tandis que l’Homme consumériste a le goût des tours de verre brillantes, aspergées de produit lavant par des esclaves, là-haut, plus haut que les nuages. L’Homme romantique a les pieds dans la glaise et la tête dans la lune. L’homme romantique est au monde, dans le monde, connecté à lui par des racines invisibles, celles qui prennent dans son cœur. Tandis que l’Homme consumériste est au monde comme il est au supermarché. Il vient pour ce qu’il l’intéresse, néglige ce qui ne l’intéresse pas, et se sert autant qu’il peut, autant qu’il veut, jusqu’à ce que les rayons soient vidés, sans se préoccuper de ceux qui passeront après lui.
Quelle Ironie quand on pense que les matériaux modernes avec lesquels nous avons conçus ces tours ne leur permettra même pas d’accéder un jour au statut de ruine. Cinquante ans après nous, il n’en restera rien. Ce ne sera même pas un sujet de romantisme pour les générations à venir.
Ce qu’il restera par contre, c’est la pensée que nous aurons laissée après nous. Les livres, les textes, les productions artistiques, littéraires, philosophiques sont les fossiles futurs de notre humanité.
Depuis trois semaines, nous vivons une période extraordinaire où les chantiers de tours s’arrêtent et ou un nouveau chantier peut commencer, celui du cœur et la pensée. Ce chantier est le plus essentiel de tous! Alors au travail!
Je crois que le romantique est moderne, résolument moderne. Peut-être même est-il en avance sur son temps. Son amour des ruines le prouve. Il s’émeut devant elles parce qu’il sait que l’Homme passe et que le monde reste.
Notre civilisation est aveuglée par l’illusion de sa capacité à transformer le monde. Mais nous comprenons cette fois que c’est le monde qui nous transforme, quand il veut, et comme il veut. Notre civilisation vacille car elle n’a plus rien à transformer. Plus que jamais, nous savons que nous ne savons rien. Pourtant, notre cœur lui, il sait. Il sait qu’un autre temps vient.
Jean Genet explique qu’il a commencé à écrire, vers ses 16 ans, quand il a compris qu’il ne pourrait pas changer le monde. Aujourd’hui, nous connaissons la formidable opportunité de peindre le monde, de l’écrire, et le chanter, plutôt que de chercher à le transformer. C’est une leçon d’humilité! Nous réapprenons à nous ennuyer. A rêver. A sentir. A nous évader sur les ailes battantes de l’imagination. Nous réapprenons à vivre pleinement le présent. Ainsi, nous réapprenons à être romantique. Si l’extérieur nous est momentanément interdit, une porte intérieure s’est ouverte. A nous d’y entrer. Une révolution a commencé. Une révolution de l’intérieur : une révolution romantique. Il faudra savoir l’extérioriser, et l’exprimer en livres, en films, ou en musique!