Et les objets de musée confinés dans leurs vitrines, ils en pensent quoi?
Isabel Garcia Gomez est conservatrice-restauratrice au sein du Musée d'ethnographie de Genève et propose un regard un peu décalé sur la période que nous vivons.
Musée.
Deuxième sous-sol.
Salle d’exposition.
Suspendus au plafond des vitrines, graves comme des guirlandes après la fête, les spots se sont éteints. Dans la salle, l’atmosphère a cette sérénité des jours sans public. Ces jours où, dans ce territoire souterrain défini par quatre longs murs sombres et une hauteur solennelle, les objets deviennent à nouveau ce qu’il y a de plus vivant. Ces jours où l’on se sait privilégié de les avoir juste pour soi, les objets, et de pouvoir les écouter dans le silence. Eux qui, malgré leur confinement derrière les verres à triple feuilletage, s’expriment si puissamment.
Je suis venue voir si tout va bien pour eux. Si, profitant de notre absence, aucun insecte n’a tenté de se glisser dans les vitrines pour les grignoter en douce, ni vu ni connu. Je fais le tour des objets et, l’un après l’autre, je les regarde. A force de nous fréquenter, nous sommes devenus intimes : même si nous devions nous quitter, je pense que je les reconnaîtrais infailliblement si le hasard devait nous réunir à nouveau. Je reconnaîtrais celui-ci à l’acuité de ses pupilles incisées, celle-ci au strabisme incertain de ses yeux miroitants. Celui-ci à sa pose un peu voûtée, celle-ci à la cambre magistrale de son dos. Celui-ci à son menton furieusement dressé, celle-ci à sa nuque penchée sur le recueillement. Celui-ci à sa bouche ouverte sur une intercession, celle-ci à ses lèvres cousues de corde pour contenir son esprit. A tout ce qui rend chacun de ces êtres unique et vivant. Ils sont passés entre mes mains et ils savent, je crois, combien je suis attachée à eux. Alors, peut-être parce que nous nous connaissons bien, peut-être aussi parce qu’aujourd’hui – allez savoir pourquoi – j’ai une envie plus impérieuse d’échange, je sens que mon regard sur eux est différent de l’habitude. Et je me demande si leur regard, sur moi, est différent de l’habitude.