Prélèvement d'ADN prêts à être analysés en laboratoire | 23AndMe

Tests génétiques et généalogie, mode d’emploi

Publié le 19 juin 2021 05:55. Modifié le 22 juin 2021 08:00.

Je ne suis ni adoptée ni née sous X. Ce que je sais de mon histoire de famille me semble assez ordinaire, pour ne pas dire ­ennuyeux. Mais, il y a quelques années, ma grand-mère m’avait demandé un singulier cadeau de Noël: elle souhaitait que je ­réalise son arbre généalogique grâce à internet. Rapidement gagnée au jeu, j’avais entamé le mien. Une aventure à travers les époques, à lire des vies entières résumées en quelques lignes dans les actes de naissance, de mariage et de décès: nom, dates, profession, filiations… Un jeu de piste, une enquête ­finissant parfois en cul-de-sac au gré des frontières et du degré de numérisation des archives.

Je sais donc aujourd’hui grossièrement situer mes racines: en Haute-Savoie et dans le canton de Fribourg, en Suisse, d’un côté; dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais et en Belgique de l’autre, avec quelques ­ramifications du côté de la Bretagne et de l’Aquitaine. En un sens, je suis un bon cobaye pour découvrir si les tests ADN permettent d’aller au-delà de la généalogie.

En quelques clics sur internet, je commande deux kits de prélèvement, pour comparer. Un Américain, de la marque 23andMe, dont la valorisation boursière a dépassé le milliard de dollars, le second de la firme helvé­tique iGenea. Il y en a en tout pour environ 330 francs. Ils arrivent dans ma boîte sous quelques jours. Le prélèvement est aisé, quoique peu glamour. Pour le test américain, je me retrouve à me racler théâtralement la gorge pour en extraire suffisamment de salive afin de remplir un tube à essai en plas­tique. Le kit suisse, de son côté, permet un prélèvement plus discret: il me suffit d’insérer une sorte de grand ­coton-tige à l’intérieur de ma bouche et de le frotter fort contre l’intérieur de la joue. Un objet qui rappelle les grands écouvillons insérés dans les narines pour le test Covid… En quelques minutes, les tubes sont scellés et rempaquetés dans leur emballage d’origine, déjà préaffranchis. Un aller-retour par la Poste plus tard, les échantillons sont repartis en direction des laboratoires.

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Le prélèvement prêt à repartir par la poste | DR

Déconcertante facilité

La facilité déconcertante de l’opération m’interpelle. Il semble aussi facile de commander un test que d’acheter un billet d’avion sur internet. Pourquoi me suis-je lancée là-dedans? En retournant la question via Twitter à d’autres clients, je réalise qu’une large diversité de motivations ­coexistent. «Ma conjointe a fait partie des premiers clients de 23andMe et m’a offert le test pour Noël pour son aspect ludique», m’explique un journaliste expatrié aux États-Unis. «Nous avons le projet d’adopter, mon conjoint et moi, et imaginons nous appuyer sur nos résultats aux tests pour évoquer avec l’enfant la question de ses origines», me confie une autre consœur. Pour certaines populations, par exemple les Afro-Américains qui ont souffert de l’effacement des mémoires de leurs ancêtres, ces tests sont une façon de se réapproprier leur histoire, de connaître le pays qui était celui de leurs ancêtres: la démarche peut revêtir une dimension existentielle. Ce n’est pas mon cas. Il n’y a pas de «trous» dans mes narratifs familiaux. Je me sens, sur ce terrain, comme une touriste, voire comme un imposteur.

Ces tests permettent d’éclairer les zones d’ombre d’une histoire familiale, et parfois de pallier l’absence de documents généalogiques, rappelle Bernard Baertschi, maître d’enseignement et de recherche en philosophie à l’université de Genève et membre du comité d’éthique de ­l’Inserm en France. «Il y a eu des incendies dans de nombreuses paroisses européennes au XVII et XVIIIe siècle notamment, ce qui a détruit beaucoup de registres d’état civil. Mais si on réalise un test d’ancestralité par simple curiosité, on ne risque pas d’apprendre beaucoup plus que ce qu’on sait déjà», avertit-il. «Bien entendu, pour qui a des doutes sur son histoire familiale, le test peut dévoiler des secrets, explique pour sa part Sarah Abel, anthropologue à l’université de Cambridge et spécialiste des usages sociaux des tests ADN. Et même si tout paraît clair, il peut être l’occasion de révélations inattendues quant à des parents, proches ou lointains.»

Réponses et nouvelles questions

Quelques semaines plus tard, mes résultats sont là. Sans surprise, 23andMe me donne 95% d’origines suisses et françaises, pointant vers ­l’Auvergne-Rhône-Alpes et les Hauts-de-France. Mais s’y sont inexplicablement glissés 2,5% d’Espagne ou Portugal, et 1% apparentés aux Coptes d’Egypte, tous deux ­inconnus de ma généalogie. Du côté d’iGENEA, en revanche, on m’attribue 32% d’origines espagnoles ou portugaises, 22% de Scandinavie, et même 3% d’Irlande. Il y a de quoi être pris d’un vertige. Qui croire? «Les tests ADN, à eux seuls, ne peuvent fournir de vérité absolue sur le passé, souligne Sarah Abel. Aujourd’hui, on a tendance à trop investir dans l’aspect ­génétique et à négliger les autres éléments (documents écrits, ­récits oraux…) de l’histoire familiale».

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Mes origines géographiques selon iGENEA | DR

On me propose aussi d’entrer en contact avec une kyrielle de cousins du 3e au 5e degré éparpillés dans le monde entier: Europe bien sûr, mais également Etats-Unis, Canada, et même Sri Lanka et Pérou. Mais la part de génome partagée reste faible: moins d’1% ici, alors qu’elle est de 50% en moyenne pour un parent, 12,5% pour un cousin germain. Qu’en penser? Les correspondances proposées par les sociétés en fonction du lien de parenté sont plus fiables, poursuit Sarah Abel, «mais elles ne disent pas quelle est la branche de la famille qui est partagée.» Ces résultats ne sont pas un fait gravé dans le marbre, juste une estimation, estime l’anthropologue. «Les narratifs familiaux jouent un rôle important. Ce sont ces éléments de contexte qui permettent la construction généalogique.»

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Nombre et positions de mes «cousins» du 3e au 5e degré ayant aussi réalisé un test sur 23andme | DR

Autrement dit, c’est bien la généalogie qui permet d’éclairer les résultats de la génétique.  «Trop souvent, on pense qu’il suffit de passer par l’un de ces tests pour avoir des réponses définitives sur ses ascendants, explique Sarah Abel. Ce serait oublier que si la génétique est une science dure, la génétique de l’ancestralité l’est beaucoup moins: elle laisse une large place à l’interprétation.» Et c’est précisément l’aspect scientifique de la démarche que nous explorerons dans le prochain épisode.