Les datacenters, ces chaudières géantes
Publié le 06 septembre 2021 09:00. Modifié le 31 août 2022 15:30.«Il faut dire ce qu'il est, l’industrie de l’hébergement de données reste pollueuse». Son entreprise a beau vouloir jouer la carte de l'écologie, Boris Siegenthaler, directeur stratégique d'Infomaniak, n'en reste pas moins conscient de l'impact environnemental des centres de données. Entre la consommation d’énergie et la production des composants électroniques, le secteur serait responsable de 1 à 2% des émissions de CO2 dans le monde. Un chiffre qui pourrait encore augmenter avec l'accélération des échanges de données, l'envol du streaming et des visioconférences et le développement des cryptomonnaies. Mais certains acteurs du secteur veulent se mettre au vert.
Garder les données au frais
Pour comprendre pourquoi les datacenters consomment autant d’énergie, il faut comprendre que l’électricité consommée par les serveurs est en partie dissipée sous forme de chaleur, ce qu'on appelle «effet joule». Cette chaleur doit être évacuée, sous peine de dysfonctionnements. L'American society of heating, refrigerating and air-conditioning engineers (ASHRAE) estime que les serveurs ne doivent pas avoir à supporter des températures supérieures à 27°C pour fonctionner de manière optimale. Conséquence directe: le refroidissement représente un important poste de dépense pour ces professionnels, soit environ 40% de la consommation totale d’énergie. Il passe souvent par la climatisation des infrastructures.
La course est donc lancée pour trouver la solution qui permettra de se passer de cette climatisation énergétiquement coûteuse. Dernière idée en date, proposée par Microsoft, immerger directement les centres de données sous la mer. Une proposition qui convainc peu Boris Siegenthaler.
«Je me demande à quel point cette idée ne viendrait pas plutôt du service marketing que des ingénieurs! J'ai de la peine à voir comment ce projet peut avoir un effet positif pour l'environnement en réchauffant directement l'eau des océans. Il faudra aussi me dire comment on intervient pour la maintenance des serveurs.»
Pour ses centres de données en activité, Infomaniak préfère utiliser des échangeurs de chaleur avec l'air extérieur, suffisamment frais la majeure partie de l'année. En été, le système est complété par un échangeur adiabatique, utilisant l'évaporation de gouttelettes d'eau pour accélérer le refroidissement. L'hiver, plutôt que de réchauffer inutilement l'extérieur, l'air chaud en provenance des serveurs sert à chauffer le bâtiment.
Cette approche se retrouve également chez High DC, à la Chaux-de-Fonds. Installé dans les hauteurs du canton de Neuchâtel depuis 2019, le centre de données profite ainsi de l'altitude, environ 1000 m, pour obtenir de l'air frais. Cette approche permet aux deux acteurs romands d'afficher un indicateur d'efficacité énergétique (PUE pour Power Usage Effectiveness) en dessous de 1,1. Une prouesse, lorsque la moyenne européenne avoisine 1,8. Plus cet indicateur est proche de 1, moins le centre consomme d'énergie pour des tâches autres que le fonctionnement des serveurs.
De l’informatique pour le chauffage domestique
Reste que si les centres de données romands sont parmi les plus efficaces énergétiquement parlant, la chaleur produite par leurs installations pourrait être exploitée différemment, au-delà du chauffage du bâtiment qui abrite les serveurs. Boris Siegenthaler veut la revaloriser dans son prochain datacenter qui devrait être opérationnel à l'été 2023. «Au fond, un centre de données ne fait que produire de la chaleur. 99% de l'électricité qui y est consommée finit convertie en air chaud que l'on peut réutiliser dans une pompe à chaleur.»
Le futur bâtiment sera ainsi relié à un quartier résidentiel de Plan-les-Ouates, notamment pour le chauffage de l'eau. Une solution qu'il souhaiterait voir se généraliser pour l'ensemble des centres de données. «Le nouveau combat, c'est le rendement de la pompe à chaleur. Le PUE, c'est fini!»
Infomaniak n'est pas la seule société à faire le pari de la valorisation de la chaleur produite dans ses bâtiments. Safe Host, à Gland, a également équipé son dernier bâtiment de manière similaire. Mais les deux infrastructures ont un autre point en commun, leur taille: une capacité de 10'000 serveurs pour le futur projet d'Infomaniak et jusque 200'000 pour Safe Host. Cette approche est-elle généralisable à tous les centres de données? Michael Zennaro, directeur d'High DC, en doute:
«Cela peut être intéressant pour de grandes infrastructures. En ce qui nous concerne, vu la taille de notre centre de données et la quantité de chaleur, que l’on rejette, ce ne serait intéressant ni sur le plan économique, ni sur le plan écologique. En aucun cas une telle installation chez nous ne permettrait de compenser toute l'énergie grise (qui recoupe aussi l’énergie consommée pour produire le matériel, ndlr) qu’elle implique. D’autant que la période où on aurait le plus besoin de cette chaleur, en hiver, est justement la période où nous la réutilisons justement pour les besoins propres du centre de données.»
D’autres leviers pour verdir nos données
La gestion de la chaleur et du refroidissement des centres n’est pas le seul levier pour verdir nos données. Infomaniak et High DC ne se fournissent ainsi qu’en électricité issue d’énergies renouvelables, complétée par l’installation de panneaux solaires sur les toits de leurs bâtiments. Infomaniak prévoit également de prolonger la durée de vie de ses appareils, même si les modèles plus récents sont moins énergivores, afin d’économiser les émissions de CO2 liées à la production et au transport des composants électroniques. Un ensemble de solutions qui devrait progressivement changer l’image des centres de données, en tout cas en Suisse.
La suite de cette Exploration soulèvera un problème a priori basique, mais très important: la quasi absence de certification des démarches écologiques des centres de données.
- Cette Exploration a été réalisée avec le soutien de alp ict, CleantechAlps et OPI.