L’intelligence artificielle au service de l’environnement
Publié le 20 septembre 2021 09:00. Modifié le 31 août 2022 14:41.On l’a vu lors de l’épisode 1: les activités numériques, et par extension l’intelligence artificielle, entraînent indirectement des émissions de gaz à effet de serre (GES), ceci en fonction de l’origine de l’électricité consommée. Mais les algorithmes d’apprentissage machine (pour simplifier, on parlera d’intelligence artificielle), avec leur formidable capacité à apprendre par l’exemple à partir de larges quantités de données, peuvent aussi devenir nos alliés pour préserver l’environnement et le climat.
À condition de bien les utiliser. C’est possible à plusieurs niveaux: le logement, le bâtiment, la ville — devenue smart city —, la planète dans son ensemble. La preuve en quelques exemples, assurément non exhaustifs, mais qui illustrent la large palette des possibles.
Des bâtiments plus économes en énergie
Partons du logement, qui représente la troisième source d’émissions de GES, derrière les transports et l’alimentation. Afin de regagner le contrôle des dépenses de chauffage — et de leur impact climatique —, une myriade de solutions domotiques connectées ont vu le jour. Sur ce marché déjà dense, la jeune pousse genevoise E-nno tire son épingle du jeu grâce à son modèle économique original, qui cible directement les gestionnaires d’immeubles. La particularité: l’abonnement n’est prélevé que si des économies d’énergies sont réalisées. «Le bâtiment représente une large part de la consommation énergétique de la Suisse, et ce parc immobilier est vieillissant et hétérogène», décrit Maël Perret, CEO et cofondateur de la société. «Il y a donc un enjeu clé à pouvoir connecter les différents bâtiments à l’aide d’un seul système.»
Le principe: un boîtier multi-capteurs à installer directement dans la chaufferie de l’immeuble, quel que soit le mode de chauffe — fioul, gaz, pompe à chaleur…. Il s’agit de suivre l’évolution de la consommation et de la température dans le temps — et identifier les leviers d’amélioration. Comment? C’est là que la data science et les algorithmes entrent en scène. Première étape: l’observation, pendant deux à trois mois. «Notre particularité, c’est de ne recourir qu’à trois points de mesure dans l’immeuble, afin de ne pas être trop invasifs pour ses occupants», précise Maël Perret. A l’issue de cette première collecte de données, les algorithmes auront compris le comportement thermique du bâtiment — de quelle manière les variations climatiques et le comportement des occupants affectent sa consommation.
De quoi identifier les périodes où l’on peut abaisser automatiquement le chauffage, par tranches de 15 minutes. «En moyenne, nous parvenons à réaliser 17% la première année», poursuit le CEO. Pour l’instant, une centaine de bâtiments ont été équipés en Suisse romande. «Mais nous ne chiffrons pas nos objectifs en termes de nombre de bâtiments équipés, mais de tonnes de CO2 évitées», nuance-t-il. «Nous avons atteint 300 tonnes, et ciblons désormais 1000 tonnes d’émissions évitées.» Autre intérêt: «Les réglages peuvent se faire à distance, sans nécessiter le déplacement d’un technicien.»
L’intelligence artificielle du camion-poubelle
A l’échelle d’une ville, la bonne gestion des déchets et la propreté des rues est l’un des aspects environnementaux les plus visibles. Améliorer la propreté des villes grâce à des algorithmes permettant l’identification visuelle des déchets directement au niveau des flottilles de véhicules de nettoyage: c’est justement ce que fait Cortexia, née en 2016 à Châtel-Saint-Denis. «Une expérimentation menée à Genève a montré que plus de 2% des petits déchets jetés au sol se retrouvent, à l’autre bout de la chaîne, dans le lac Léman», relève Andréas von Kaenel, CEO de la société. Grâce à ses partenaires académiques, dont l’EPFL et la Haute école Arc, Cortexia a développé un système de vision par ordinateur qui permet d’identifier les déchets qui jonchent la chaussée — afin de mieux les ramasser. «Nous pouvons détecter plus de 40 types d’objets différents», détaille Andréas Von Kaenel. «Et notre système évolue au fil du temps, puisque nous y avons introduit, courant 2020, un nouveau type de déchets: les masques jetables.» Zurich, par exemple, est l’une des villes les plus propres du monde. Elle s’est associée à la jeune pousse dès ses débuts. «Zurich disposait déjà de son propre indice de propreté publique, en fonction de la quantité des déchets et de leur impact sur la perception de la propreté, que nous avons transposé de façon à pouvoir le calculer automatiquement», poursuit le CEO.
L’essai a rapidement été transformé, puisque la solution de Cortexia a traversé les frontières. Elle a été déployée en Ile-de-France, à Toulouse, à Milan et même à Athènes. En apprentissage permanent, le modèle de reconnaissance visuelle a aussi dû s’adapter aux spécificités locales. «En Italie, l’algorithme confondait la peinture jaune de la chaussée avec des mégots de cigarettes, et à Toulouse, il détectait les bouteilles en plastiques qui étaient correctement disposées dans les poubelles transparentes du plan Vigipirate», illustre Andréas von Kaenel. Signe que le modèle d’affaires convainc et essaime. «Les villes les plus sales sont souvent aussi celles qui dépensent le plus pour leur nettoyage, c’est une double punition», assure le CEO. En même temps, «ce qui ne se mesure pas ne s’améliore pas», poursuit-il.
L’IA, avant tout un outil d’optimisation
Car l’incitation, au-delà de l’argument environnemental, est également climatique… et financière. Mieux connaître la cartographie des déchets urbains permet de mettre en place des mesures ciblées, comme le redéploiement des véhicules de voirie dans les zones critiques pour optimiser les tournées. «Si l’on gagne 30% de temps d’usage en moins, on économise aussi 30% des émissions de CO2», glisse Andréas Von Kaenel. «Sur une flotte de trois balayeuses, cela signifie qu’une peut rester au garage. Pour les acteurs locaux, c’est aussi un argument qui aide à passer à l’électrique, ces véhicules étant souvent plus chers.»
Le numérique et l’IA peuvent donc soutenir l’environnement lorsqu’il s’agit de suivre nos activités puis de les optimiser. A plus large échelle, ces solutions ont aussi le potentiel de vérifier si les émissions de gaz à effet (méthane, CO2…) déclarées par les différents pays dans le cadre du protocole de Kyoto sont conformes aux observations satellitaires. C’est par exemple ce que fait la start-up française Kayrros pour le méthane, dont de larges fuites sont fréquemment observées. D’autres acteurs émergent sur ce marché, qui entend aussi surveiller les émissions de CO2.
D’aucuns se demanderont quelle est la place de l’humain dans toute cette débauche d’intelligence artificielle. Dans la smart city comme ailleurs, l’intelligence humaine doit continuer à jouer un rôle central. En 2019 Shoshanna Saxe, assistante professeure en ingénierie à l’Université de Toronto, écrivait dans une tribune publiée par le New York Times: «Les smart cities deviennent rapidement très complexes à gérer, avec toutes sortes de vulnérabilités imprévisibles. Il y aura toujours de la place pour les nouvelles technologies dans les infrastructures urbaines, mais très souvent, les “villes bêtes” s’en sortent mieux que les villes intelligentes».
Ni bon ni mauvais par principe, le numérique n’est donc qu’un outil de plus à disposition. Un outil qui ne nous dispense pas de nous poser les bonnes questions, ni de bâtir une société plus résiliente sur les questions climatiques et environnementales.
Dans le prochain épisode, nous vous emmènerons dans le Gros-de-Vaud, où il sera question de smart grids pour accompagner la transition énergétique.
- Cette Exploration a été réalisée avec le soutien de alp ict, CleantechAlps et OPI.