Spineart a développé toute la gamme des implants et prothèses nécessaires à la chirurgie du dos / Spineart
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Comment Spineart construit un leader mondial des implants médicaux à Genève

A coup d’innovations comme l’impression 3D, de finition suisse puisée dans le savoir-faire horloger et de simplicité pour ses clients chirurgiens, Spineart est passée en moins de 20 ans de start-up dans un appartement à leader mondial d’implants et de prothèses pour la chirurgie de la colonne vertébrale. Malgré le durcissement de la réglementation sur les dispositifs médicaux en Europe, l’entreprise continue de croître et se prépare à investir dans une nouvelle usine.

Publié le 17 avril 2023 17:40. Modifié le 19 avril 2023 15:24.

Dans les bureaux de Spineart, au dernier étage d’un immeuble de Plan-les-Ouates, on a un peu l’impression de retrouver le cours de sciences naturelles du collège. Devant la moitié haute d’un squelette trônant sur l’étagère de l’open space, Channy Em, la responsable de la communication, montre les différents implants et prothèses que cette entreprise, qui emploie près de 200 personnes dans le grand Genève, a développé pour la colonne vertébrale.

Avec leurs treillis de titane ou leur poli en carbone, ces objets ont une esthétique quasi horlogère. De fait, c’est un sous-traitant d’un célèbre horloger genevois qui finit certains de ces dispositifs. Une caractéristique néanmoins surprenante étant donné qu’ils sont destinés à ne plus être vus une fois implantés… Mais qui n’est pas étrangère à l’identité de cette entreprise qui s’inspire d’Apple pour la simplicité de son design en dépit de la sophistication de ses technologies.

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L'entreprise forme des centaines de chirurgiens à ses technologies.Spineart

«Fondamentalement, Spineart a développé une gamme complète de prothèses et d’implants permettant de traiter la grande majorité des maux pouvant toucher toutes les zones de la colonne vertébrale», résume Channy Em. Sur le squelette, elle montre des «cages», qui viennent s’insérer entre les vertèbres pour les fusionner quand les disques sont trop usés, des vis et des tiges pour la reconstruction et la correction du dos pour des pathologies comme la scoliose et des prothèses articulées pour conserver la mobilité des vertèbres cervicales ou lombaires.

Le pari du titane

A l’origine, c’est l’innovation radicale de ces prothèses articulées qui a lancé Spineart après sa création en 2005 par Jérôme Levieux et Stéphane Mugnier. «Le premier a un profil d’ingénieur et le second de commercial», explique Guillaume Amblard, le directeur produits, qui a rejoint l’entreprise en 2008.

«Tous deux avaient accumulé 20 ans d’expérience dans les implants pour la colonne dans des entreprises d’orthopédie comme Aesculap et B.Braun. Ils pensaient qu’il était possible d’innover, que ce soit avec des nouveaux matériaux, de nouvelles procédures chirurgicales ou bien des prothèses qui puissent servir d’alternative aux techniques classiques consistant à bloquer les vertèbres.»

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Biocompatible le titane demande un traitement particulier pour ne pas gripper./Spineart

A cette époque, les deux entrepreneurs ne sont cependant pas les seuls à avoir cette idée destinée à conserver la mobilité des vertèbres en remplaçant les disques endommagés généralement par le vieillissement et provoquant de très douloureuses névralgies en appuyant les os sur les nerfs. «La principale difficulté alors, poursuit Guillaume Amblard, tenait à la difficulté d’implanter de telles prothèses. Les rayons X ne permettent pas aux chirurgiens de voir les parties molles du corps comme les disques pour placer les implants. Ils ont besoin de l’IRM (imagerie par résonance magnétique). Mais le cobalt-chrome utilisé pour ces premières prothèses déformait les images de l’IRM.»

Dans un appartement où ils sont en colocation à Genève, Jérôme Levieux et Stéphane Mugnier se mettent en quête d’autres matériaux mieux adaptés à cette ultra-sensible intervention. «La prothèse qu’ils ont développé fonctionne avec deux plateaux articulés autour d’une boule, poursuit Guillaume Amblard. Cette dernière est en polyéthylène qui ne pose pas de problème. Les plateaux sont en titane. Ce matériau a l’avantage d’être biocompatible et de ne pas avoir d’activité électrique de nature à distordre l’IRM. Malheureusement, le titane a aussi des propriétés de friction épouvantable. C’est ce qui va les amener à l’idée de déposer une mince couche de carbone lisse comme du verre sur le titane afin d’éviter que la prothèse ne se grippe.»

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Spineart s'appuie sur le savoir-faire horloger pour le polissage de ses pièces./Spineart

Une baguera dans la colonne

Quand Guillaume Amblard quitte son poste chez Synthes pour rejoindre l’entreprise en 2008, elle a déjà bien avancé sur son innovation et lui a donné un nom conquérant: Baguera. «L’entreprise avait alors une trentaine d’employés et venait de déménager de l’appartement du centre de Genève pour des bureaux à l’International Center Cointrin près de l’aéroport.» Pas par hasard. Son ambition est de s’attaquer au marché américain qui représente à lui seul près des deux-tiers du marché mondial.

Dans son bureau, Gino Poggiali, le directeur du site et des services administratifs, explique les raisons de ce flagrant déséquilibre: un marché mondial de 10 milliards de dollars sur lequel l’Europe et l’Asie ne compte que pour 15% respectivement. «Historiquement, la prévalence de l’obésité dans la population américaine est une partie de l’explication. A quoi s’ajoute une réglementation moins forte sur les prix.»

Pour Spineart, cette importance du marché américain signifie très tôt la nécessité d’y être présente. Et de se diversifier, car les prothèses articulées ne pèsent que 6% du marché contre 75% pour les dispositifs qui fusionnent les vertèbres. «Le premier produit implanté aux USA a été une cage lombaire en février 2009, suivi de notre premier système d’ostéosynthèse (le réassemblage d’os fracturés, ndlr.) postérieur en octobre de la même année», précise Channy Em.

Cette extension de sa gamme, avec aussi le lancement de produits de chirurgie mini invasive et de kyphoplastie, comme des ciments acryliques pour réparer certaines fractures, s’accompagne de la mise en place d’une logistique efficace comme la distribution de produits pré-emballés 100% stériles afin d’améliorer la sécurité du patient et de réduire les contraintes de stérilisation des hôpitaux.

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Les locaux de l'entreprise à Plan-les-Ouates./Spineart

Cette stratégie convainc. «A partir de 2013-2014, nous avons commencé à jouer dans la cour des grands avec de grosses interventions sur des enfants et des adolescents par des chirurgiens stars dans des centres prestigieux», poursuit Guillaume Amblard.

L’entreprise atteint ainsi la rentabilité vers 2015 et peut s’autofinancer. «Aujourd’hui, la moitié de notre chiffre d’affaires est réalisé aux Etats-Unis», indique Gino Poggiali. L’entreprise suisse reste toutefois un challenger sur ce marché face aux géants américains comme Medtronic, Stryker, Zimmer Biomet, Depuy Synthes (filiale de Johnson & Johnson), Globus Medical et NuVasive, qui viennent de fusionner. Tous sont à plus d’un milliard de chiffre d’affaires annuels.

Présente dans 50 pays, Spineart se rapproche de ce top 10. Elle a réalisé pratiquement 100 millions de chiffre d’affaires en 2022. «Nous pensons entrer dans le top 10 d’ici deux ans», confie Gino Poggiali. Cette croissance s’explique aussi par les modes de vie et le vieillissement de la population. Le mal du dos est le mal de notre siècle. Toutefois, en Europe un obstacle est apparu. Il s’appelle le RDM (MDR – Medical Devices Regulation) et il ne fait pas du tout rire les entreprises de technologies médicales suisses comme Spineart.

Le défi européen du RDM

Après le scandale des prothèses mammaires PIP, qui pouvait passer pour un cas à part, une journaliste d’une chaîne de télévision publique aux Pays-Bas a réussi en 2014 à passer avec succès les premières étapes en vue de l'obtention d'un marquage CE (l’autorisation commerciale pour un dispositif médical en Europe) avec un filet de mandarine qu’elle avait présentée comme un implant vaginal… Cela a débouché sur une vaste enquête médiatique baptisée «implant files» qui a mis en lumière les limites du marquage CE.

En mai 2017, l’Union Européenne a répondu en changeant les règles encadrant la commercialisation des implants médicaux avec une nouvelle règulation: le Règlement relatif aux dispositifs médicaux (RDM). En substance, il prévoit de fournir des preuves cliniques pour obtenir un marquage CE. Et cela concerne aussi les dispositifs existants qui doivent tous repasser l’examen du marquage CE avec les nouvelles règles et une échéance à mai 2024. «Comme fin 2022 seulement 2000 dispositifs avaient été approuvés avec 20 000 en attente, l’Europe a repoussé la date butoir à 2027», précise Gino Poggiali.

Pour Spineart, ce changement de règles a des conséquences à la fois négatives et positives. Son équipe règlementaire est passée de 2 à 12 personnes. Elles contactent les chirurgiens ayant déjà implantés ses dispositifs afin d’obtenir leurs données cliniques. «Cela nous coûte cher mais nous avons déjà passé plus de 50% de nos produits en RDM», poursuit Gino Poggiali. Dans le même temps, les acteurs américains tendent à se retirer du marché européen. C’est donc une opportunité pour l’entreprise genevoise.

La carte de l’impression 3D

Avec 15% de croissance annuelle en moyenne depuis sa création et l’embauche d’une trentaine d’employés par an ces dernières années, Spineart ne compte toutefois pas tellement là-dessus pour poursuivre son ascension vers le top 10. On l’a dit, le marché des implants pour la colonne vertébrale est pour les trois quarts dominés par les produits qui fusionnent les vertèbres comme les cages. Or, l’entreprise qui a très tôt choisi d’être présente sur ce segment a introduit à partir de 2016 une autre innovation: l’impression 3D.

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A l'impression 3D s'ajoute des finitions par des sous-traitants horlogers./Spineart

Sur son bureau Guillaume Amblard dispose quelques-unes des cages produites avec cette technologie baptisée Ti-LIFE. «Vous voyez ces structures en treillis, explique-t-il. Elles vont favoriser la colonisation de l’implants par les cellules osseuses et ainsi favoriser la fusion.»

Reste qu’imprimer du titane en 3D est une autre paire de manche que les structures en plastiques obtenues d’habitude avec cette technologie. «Nous avons commencé timidement, explique Guillaume Amblard. En tant qu’ingénieur, on vous apprend à enlever de la matière pas à en ajouter. Mais l’impression 3D permet de faire des choses incroyables.»

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Les capacités de production de l'entreprise ne suffisent plus pour répondre à la demande./Spineart

Nouvelle usine

Dans son usine de la vallée de l’Arve en France voisine, Spineart s’est ainsi rapidement équipée de trois machines additives qui produisent 60% des cages aujourd’hui. Directeur des opérations, Yohan Stalder explique: «C’est très différent de l’usinage traditionnelle que nous faisons aussi sur une quinzaine d’autres machines. Le titane arrive sous forme de poudre et demande des précautions particulières car il est très inflammable, comme l’utilisation du gaz d’argon dans un environnement de salle blanche. L’opérateur y évolue en scaphandre.»

Malgré ces contraintes (et malgré une augmentation des prix du titane de 40% au cours des deux dernières années), l’usine de Spineart tourne à plein régime. Au point de ne plus pouvoir suivre la demande. L’entreprise genevoise, qui avait racheté en 2017 cette capacité de production d’un fournisseur (Alpes CN) dont elle était devenue le principal client, s’est ainsi engagé dans le processus de construction d’une nouvelle usine.

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D’autant que Spineart se prépare encore à accélérer. L’entreprise a levé 50 millions de francs en 2020 en grande partie pour financer les essais cliniques de sa prothèse articulée (BAGUERA C) en vue de son homologation aux Etats-Unis. Par ailleurs, elle forme des centaines de chirurgiens par an à ses solutions et veut encore plus leur faciliter la vie avec des instruments de navigation numériques et peut-être demain l’assistance de robots.

Spineart a ainsi investi dans la start-up française Pytheas Navigation qui développe des instruments basés sur des gyroscopes, des accéléromètres et des logiciels pour aider les chirurgiens à trouver la meilleure trajectoire pour placer les implants. En décembre dernier, elle a aussi démarré une collaboration avec eCential Robotics à Grenoble. Cette dernière développe une plateforme de chirurgie associant bras robotisé, imagerie 2D/3D et navigation en temps réel. De quoi s’imposer dans les blocs opératoires du futur.

Avec le soutien de l’Office de Promotion des Industries et des Technologies (OPI) de Genève.