Dessin: Vincent Roché pour Heidi.news

Fondation en Valais: quand Patrick Drahi fait du «non lucratif», il y a anguille sous roche

Il manquait au milliardaire franco-israélien une fondation dans sa panoplie d’outils pour optimiser ses impôts. C’est chose faite en Valais en 2016. Où l'on découvre à quel point les hommes de Drahi parviennent à imposer leurs volontés aux autorités valaisannes. On trouve aussi des versements qui semblent contredire le but idéal de la fondation, laquelle, par ailleurs, rémunère Jacques Attali, ancien conseiller de François Mitterrand désormais proche du président Emmanuel Macron, pour ce qui ressemble à du lobbyisme. Des activités qui pourraient entraîner une révocation de l'exonération fiscale de la fondation.

Publié le 04 novembre 2022 05:57. Modifié le 08 novembre 2022 17:59.

D-r-a-h-i. Cinq lettres, qui s’écrivent sur les murs et les frontispices. Pour un homme économe de ses impôts, Patrick Drahi sait se montrer généreux – pour autant que ses projets portent son nom. C’est ce qui ressort de la liste des paiements de sa fondation de droit suisse, créée en décembre 2016 et dont le siège est à Zermatt, la station huppée du Valais, selon une série de documents issus d’une fuite informatique – une fondation elle aussi à son nom et celui de son épouse.

La Tour de David, l’ancienne citadelle de Jérusalem, devrait recevoir 2 millions de dollars en 2023 et 2024 de la part du philanthrope franco-israélo-portugais. En contrepartie, l’entrée de l’un de ses pavillons s’appellera DRAHI. A 4 km de là, le centre de la Hebrew University consacré à l'innovation dans les sciences quantiques et les nanosciences recevra 15 millions de dollars de la part de sa fondation entre 2021 et 2025: le bâtiment sera baptisé DRAHI. Sur le même campus, on trouvera le DRAHI Center for Research and Innovation au département des arts et du design, soutenu à hauteur de 9 millions de dollars de 2023 à 2026.

Hôpital blindé

A 65 km à l’ouest, le DRAHI center for Pediatric Medecine du nouvel hôpital d’Ashdod porte le nom de sa femme, pour 4 millions de dollars entre 2016 et 2018. Tout comme le DRAHI Hospital for Children, contre le versement de 33,8 millions de dollars prévu entre 2023 et 2030. Le DRAHI Maternity Department du même hôpital - le seul au monde à être entièrement blindé contre des tirs de missiles - reçoit 12,2 millions de dollars sur 7 ans, depuis 2019.

Ailleurs en Israël, on trouve le DRAHI Entrepreneurship and High-Tech Program au centre Gvahim, qui soutient les juifs faisant leur aliya (250’000 dollars), le DRAHI Innovation center de l’université privée de Herzliya (9 millions sur 5 ans dès 2019), le DRAHI ITC Campus du Israel Tech Challenge, spécialisé dans l’intelligence artificielle et la cybersécurité, avec des méthodes d’enseignement inspirées de l’armée (1,5 million sur 4 ans dès 2019), un lycée qui porte le nom des parents de Patrick Drahi dans la banlieue de Tel Aviv (7 millions entre 2016 à 2021), une édition DRAHI du Talmud (2,3 millions sur 4 ans dès 2019), des abris DRAHI à Tel Aviv (1,2 million), le DRAHI entrepreneurship of the future de l’ONG Yozmot Atid à Ramla et le DRAHI Tech-Career building à Lod (700’000 dollars).

Un nom, une marque, du «naming»

Dans une moindre mesure, ces activités philanthropiques accompagnées de ces cinq lettres se déploient aussi en France, dans le centre culturel Patrick Drahi au Consistoire de Paris (1,5 million d’euros), le centre communautaire Patrick Drahi à Levallois (1 million d’euros en 2021 et 2022), ou encore le Drahi X-Novation Center - La fibre entrepreneur - à l’Ecole Polytechnique (8 millions de 2016 à 2021).

Un nom, une marque: en marketing, ça s’appelle le «naming». Le Japon en a été l’un des pionniers en 1959, quand Toyota est allée jusqu’à rebaptiser une ville à son nom. A Toyota City, tout rappelle le constructeur automobile, les écoles, les bibliothèques, même la méthode de travail, le toyotisme.

On ne parle pas encore de «drahisme» en philanthropie et tout va bien tant que les activités du milliardaire collent aux objectifs affichés: «La Fondation Patrick et [sa femme] Drahi (PLFA) a été créée dans le cadre de la vision entrepreneuriale globale de Patrick Drahi et de ses enfants, qui croient que le succès en affaires implique la responsabilité de redonner et de créer des opportunités pour les autres. PLFA a choisi de se concentrer sur la science et l'éducation, Israël et le peuple juif, l'entrepreneuriat et l'innovation et les arts. Les Drahis visent à partager les fruits de leur succès avec la communauté partout où la famille a ses racines ou ses activités commerciales, en participant à des projets basés en Israël, au Portugal, en Suisse, en France et aux États-Unis.»

Impôt zéro

Ces nobles causes sont reconnues par le Canton du Valais qui, s’appuyant sur la loi fédérale suisse sur l’impôt fédéral direct (LIFD) et plus spécifiquement son article 56 lettre g, exonère de taxation «les personnes morales qui poursuivent des buts de service public ou d’utilité publique, sur le bénéfice exclusivement et irrévocablement affecté à ces buts.» Des dispositions reprises presque mot pour mot dans la Loi Fiscale du Canton du Valais, article 79.

Cela vaut à la “Patrick and [sa femme] Drahi Foundation”, la PLFA, matricule CHE-249.168.073, de recevoir de charmants courriers en provenance du Service cantonal valaisan des contributions, comme cette lettre du 24 juin 2021 qui résume sa taxation pour l’année 2019:

  • Impôt sur le bénéfice: zéro

  • Impôt sur le capital: zéro

Obtenir cette exonération complète ne fut pas une mince affaire, mais pour Patrick Drahi, rien ne semble impossible. Ainsi, le 23 novembre 2016, approché par un des avocats du milliardaire, le service cantonal valaisan des contributions commence par poser ses conditions:

  • Transparence des activités de la fondation et identité des bénéficiaires

  • Une partie des membres des organes de la fondation doivent résider en Suisse

  • Et surtout: 20% au moins des ressources de la fondation doivent être attribuées chaque année à des projets en Suisse et en Valais.

Super nouvelle

Là, c’est ennuyeux. Patrick Drahi veut bien considérer que «le succès des affaires implique la responsabilité de donner en retour et de créer des opportunités pour les autres». Mais sa fondation doit aussi refléter sa «vision globale». Si bien qu’il demande de négocier. Résultat miraculeux: Jean-Luc B., son homme de confiance dans son family office Yafit, à Genève, reçoit le 2 décembre 2016 un email enthousiaste d’un associé du cabinet d’avocats fiscalistes Oberson Abels:

«Hello Jean-Luc, super nouvelle, mon associé en Valais a réussi à convaincre l’administration fiscale du Valais de faire une dérogation exceptionnelle compte tenu de l’importance des donations annuelles et de limiter à 5% les [dépenses pour des projets] suisses. Nous pouvons ainsi finaliser le projet en gardant la fondation en Valais!»

Taxé et taxateur ami-ami

L’associé en question connaît bien l’employé de l’administration fiscale valaisanne qui lui accorde cette faveur (voir épisode 2), comme l'attestent certaines rencontres entre fiscalistes dont on retrouve la trace sur internet. Ils se tutoient lors de leurs échanges par email:

«Bonjour, je fais suite à notre récent entretien téléphonique. Je te confirme que le seuil minimal des libéralités en faveur de bénéficiaires suisses et valaisans peut être arrêté à 5%. Je te souhaite un bon weekend.»

Interrogés sur cette proximité entre taxé et taxateur, les impôts valaisans n’ont pas souhaité répondre. Pourtant, ce sont des sommes très importantes qui transitent par la PLFA, et qui vont crescendo: de 7,6 millions de francs suisses en 2018 à 36 millions en 2022 et même 40 millions prévus en 2023.

La répartition des fonds entre les pays varie chaque année. Mais on se demande ce qu’il est advenu des 5% de dépenses en Suisse consentis par le fisc valaisan et de son «exigence de contrôle». En 2021, les dépenses en Suisse tombent à 1,9% et à peine 0,67% prévus pour cette année 2022. Alors que l’argent destiné à Israël augmentera lui pour arriver à 86,6% en 2021 et 95% pour 2022.

2,2 millions pour les voisins

Pour ses donations suisses, Patrick Drahi soigne la communauté juive, avec 5000 francs à une association locale de soutien aux invalides de Tsahal, l’armée israélienne, 20’000 francs par an à la synagogue de Genève, 20’000 francs à la chorale d’un rabbin genevois, un peu plus à la CICAD (Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation), encore un peu plus à la Communauté juive de Genève. Davantage est donné à plusieurs projets de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, dont est issu l’un de ses enfants, notamment 1,8 million sur 5 ans pour un projet de Mooc sur la stimulation cervicale issu du Blue Brain Project de Henry Markram, le neuroscientifique israélien ayant grandi en Afrique du Sud et dont Patrick Drahi soutient aussi la fondation Frontiers Research.

Or, comme si la fondation Drahi avait de la peine à trouver de bons projets pour dépenser son argent en Suisse, son geste le plus généreux dans le pays, 2,2 millions sur 9 ans, va à ses voisins: le festival de musique classique de Zermatt. Cette manifestation qui a lieu chaque année à la mi-septembre durant huit jours compte la fondation comme l’un de ses principaux mécènes. Hasard ou coïncidence, on retrouve Madame Biner-Hauser dans le comité de la fondation qui gère le festival. Maire de la station, Romy Biner-Hauser se proposera aussi spontanément de témoigner en faveur des Drahi dans le cadre de la procédure fiscale qui opposera le milliardaire au fisc genevois (voir épisodes 1 et 2). Madame Biner-Hauser n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Dons de la fondation Drahi aux entreprises Drahi

Plus problématiques semblent être certains projets qui n’affichent pas le nom DRAHI. Le musée juif de Lisbonne s’est vu attribuer 2,4 millions d’euros, alors que Patrick Drahi a été mêlé au scandale du rabbin de la communauté séfarade de Porto, Daniel Litvak, qui a demandé – et obtenu – la naturalisation portugaise de plusieurs descendants juifs, comme l’oligarque russe Roman Abramovitch – ainsi que le milliardaire Patrick Drahi. Le rabbin a été arrêté en mars 2022, soupçonné de trafic d’influence, de corruption active, de falsification de documents, de blanchiment d’argent. Fin septembre, une cour d’appel de Lisbonne a rendu au rabbin sa liberté de mouvement, tout en critiquant le travail des procureurs dans cette affaire, qui est toujours en cours.

Plus surprenant, des versements semblent contrevenir à l’article 79 de la Loi Fiscale du Valais, qui stipule: «Des buts économiques ne peuvent être considérés en principe comme étant d'intérêt public». Ainsi, les comptes de la fondation auxquels nous avons eu accès font état d’un contrat d’une valeur de 110 millions de dollars entre 2019 et 2030 pour Altice USA – Altice étant le groupe multinational de Patrick Drahi. Le projet consiste à produire le programme hebdomadaire «Israel Business Weekly» sur la chaîne I24news, propriété d’Altice. L’audience de cette émission en anglais dédiée à la couverture «des affaires, de l'économie et de l'entrepreneuriat en Israël» semble restreinte, si l'on en croit le peu de visiteurs que comptent ses extraits sur YouTube. Qu’importe, elle sera facturée la bagatelle de 10 millions par an. Ce montant comprend l’achat par la fondation de publicités et de sponsoring sur la chaîne.

Nos recherches montrent qu’au moins 23 millions de dollars ont déjà été versés dans le cadre de cette opération. Pourtant, I24news fait partie intégrante du groupe Altice. Cet argent va donc d’une fondation exonérée d’impôts à une entreprise commerciale du milliardaire, en contradiction apparente avec le but de la fondation. Le tout sachant que les donations à sa fondation permettent à Patrick Drahi d’importantes déductions d’impôts.

Que fait l’autorité de surveillance?

Un fiscaliste interrogé et préférant garder l’anonymat s’amuse et rappelle la teneur de la circulaire de l’Administration fédérale des contributions: «C’est évidemment contraire aux règles qui lient les fondations. L’activité exonérée de l’impôt doit s’exercer exclusivement au profit de l’utilité publique ou du bien commun. Le but de la personne morale ne doit pas être lié à des buts lucratifs ou à d’autres intérêts de la personne morale, de ses membres ou de ses associés ».

Interrogée à ce sujet, l’autorité fédérale de surveillance des fondations confirme avoir reçu les comptes de la fondation pour l’année 2021 et s'apprêter à les analyser. Elle explique que sa tâche principale consiste à vérifier que l’utilisation de la fortune est conforme au but inscrit dans les statuts et nous renvoie vers le fisc valaisan pour le reste des «questions fiscales». Malgré nos demandes répétées, ce dernier ne nous a pas répondu.

Encore une faveur valaisanne

De fait, la fondation semble bénéficier d’un traitement de faveur du côté du Valais. Un courrier daté du 15 octobre 2021, à nouveau rédigé par l’avocat local du cabinet Oberson et Abels, indique qu’elle est autorisée à «limiter, dès la période fiscale 2022, ses distributions en Suisse à 1.5 million, dont la moitié sera affectée à des projets valaisans entrant dans le champ d'activité de la Fondation». Soit moins des 5% pourtant âprement négociés, surtout que les budgets ne font qu’augmenter avec les années.

Le conseil de la fondation Drahi est présidé par l’une de ses filles, rémunérée 10’000 francs suisses par mois à partir de juillet 2021 en tant que consultante, chargée notamment de préparer le budget annuel de la fondation, fournir des conseils stratégiques, gérer les relations avec les banques, représenter la fondation dans les événements publics et lever des fonds. Or, l’article 7 des statuts de la fondation prévoit que: «Les membres du Conseil agissent bénévolement et ne peuvent prétendre qu’à l’indemnisation de leurs frais effectifs et de leurs frais de déplacement. Les modalités de remboursement de ces frais seront éventuellement précisées dans un règlement soumis à l’Autorité de surveillance pour approbation. Au cas où la fondation emploierait du personnel, les salariés ne pourraient siéger au Conseil qu’avec une voix consultative.» Interrogée, l’autorité fédérale de surveillance des fondations n’a pas souhaité s’exprimer sur ce point.

Une pénalité de… 100 francs

Au demeurant, les relations entre la fondation PLFA et son autorité fédérale de surveillance ne semblent pas particulièrement tendus. Ainsi, le 2 mars 2020, Patrick Drahi en personne s’est fendu d’un email à l’une des employées de l’autorité pour tenter de faire sauter une modeste contredanse. «Madame, nous accusons bonne réception de votre courrier recommandé du 25 février 2020. Nous sommes surpris car les rapports mentionnés vous ont été adressés respectivement en novembre 2018 et en février 2020. Nous sollicitons par là même la remise gracieuse de la pénalité de 100 CHF [91 euros à l’époque] qui nous a été adressée.»

Thierry S., l’homme de confiance de Patrick Drahi, se méfie pourtant de la façon dont sera perçue la rémunération de la fille Drahi. Dans un mail adressé à la secrétaire du milliardaire le 11 janvier 2022, il écrit:

«On verra ce qui se passe avec l’autorité de surveillance mais comme personne n’y est salarié cela devrait passer sinon on ajustera. On signera le contrat de services si besoin. La rubrique pour le versement est «honoraires [de] services. (...) Patrick fera une donation pour le complément.»

Cet email laisse également entendre que le contrat entre la fondation et la fille Drahi, daté et signé officiellement en juillet 2021, n’aurait été paraphé que six mois plus tard.

Obstacles à l’exonération

Ces éléments seraient-ils susceptibles de remettre en cause l’exonération fiscale de la fondation? Les impôts valaisans n’ont pas répondu à cette question, comme à aucune autre. Mais le texte rédigé par la conférence suisse des impôts (CSI) indique clairement: «on veillera à n’accorder l’exonération que si la structure des salaires versés ne laisse pas supposer une distribution dissimulée de bénéfice». Avant d'ajouter: «Dans ce sens, les éventuels buts lucratifs que pourraient poursuivre les membres au travers de sociétés proches seraient un obstacle à l’exonération.»

La fondation sert aussi à soigner les amitiés de Patrick Drahi. En avril 2022, elle verse 50’000 euros à Bernard-Henri Lévy, qui avait chanté les louanges du milliardaire lors de la remise du prix Scopus à l’Université Hébraïque de Jérusalem en 2015 – «J’aime la façon qu’il a, quand il en parle, de parler de sa réussite». Le virement est fait via Brotherhood Inc, la société américaine du philosophe et homme d’affaires français, afin de contribuer à un projet de documentaire en Ukraine.

Jacques Attali en lobbyiste

Autre ami, tout aussi influent: Jacques Attali. En 2021, la fondation verse 238’000 dollars à Positive Planet, l’ONG de l’ancien conseiller de François Mitterand, pour «soutenir 200 project leader dans la création de leur entreprise». Mais ce n’est pas tout. En février 2022, la fondation Drahi a signé un contrat de 350’000 euros avec Attali et Associés, le cabinet de conseil de celui qui est désormais proche du président Emmanuel Macron, cabinet qui se présente comme «spécialisé dans le conseil stratégique, l'ingénierie financière et les fusions-acquisitions.» Le contrat, d’une durée de 18 mois, prévoit le développement du projet Education Four dans les pays de la Méditerranée. Le cabinet est censé établir «les contours du projet en identifiant les enjeux clés auxquels il répondra, son ambition générale, i.e., sa raison d’être, et ses objectifs concrets, notamment en termes de bénéfices attendus pour les pays impliqués et pour la communauté internationale». Rédigé en des termes abstraits, il implique «une coopération internationale entre Israël, les Emirats arabes unis, le Maroc et la France.»

D’autres versements importants sont prévus. «Le client [la fondation] s’engage également à verser 450’000 euros à chaque fois que le client aura décidé de lancer un projet dans un nouveau pays prioritaire.» S’ensuit un tableau des coûts par pays: 250’000 euros en Italie, en Allemagne ou au Royaume-Uni; 200’000 en Jordanie ou à Bahreïn; 150’000 en Tunisie, en Côte d’Ivoire ou au Sénégal. Nos recherches sur internet ne nous ont pas permis de trouver traces de ces projets. Interrogé sur la teneur du contrat qui le lie à la fondation PLFA, Contacté, Jacques Attali n’a pas retourné nos appels.

Ce contrat s’apparente à du lobbying auprès notamment du gouvernement français de la part d’un agent étranger, la fondation suisse. Un passage du contrat explique ainsi: «A&A [Attali et Associés] apportera son soutien dans la définition d'une stratégie de mobilisation des gouvernements français et marocains». Et plus loin: «En particulier, A&A fournira un récit narratif fédérateur adapté aux gouvernements ciblés, en se fondant sur les initiatives de coopération existantes entre Israël, les Emirats arabes unis, la France et le Maroc, et accompagnera le client quotidiennement dans la préparation de ses réunions de travail et/ou négociations».

Sonde israélienne

Pourtant, le cabinet de l’ancien ministre de Mitterrand n’est pas enregistré, comme il serait en principe tenu de le faire, auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui encadre les activités de lobbyisme en France. Contactée, l’autorité ne nous a pas répondu sur ce cas précis.

Enfin, la lecture de ce contrat révèle une autre mission confiée au cabinet de Jacques Attali: «accompagner le Client [la Fondation] dans ses problématiques de communication quotidiennes (rédaction de mémos, éléments de langage, etc.), et veillera à la bonne coordination du lancement de la campagne, notamment avec le lancement de la sonde «Beresheet II».

Israël ambitionne d’être la quatrième nation au monde à poser un vaisseau sur la lune. Le projet est porté par SpaceIL, une société privée, également financée par Patrick Drahi via sa fondation à hauteur de 50 millions de dollars sur les 70 millions du budget.

Ne perdant pas le nord, Patrick Drahi inclut dans le contrat qui lie sa fondation à SpaceIL une obligation pour cette société de donner la priorité à ses chaînes de télévision pour «faire des interviews et documenter le projet», et même d’offrir gratuitement des «visuels pris de l’espace» pour l’opérateur télécom israélien Hot, qui lui appartient également. Un retour d’ascenseur qui interroge, pour une fondation censée «ne poursuivre aucun but lucratif».

Inquiétudes pour la TVA

Il s’inquiète pourtant que SpaceIL se retrouve à devoir payer de la TVA sur ses donations. «En ce qui concerne les taxes dont on a discuté, j’ai parlé avec mes employés et il n’y a pas de miracle vu que la donation maximum qui peut être déduite est seulement de 9,6 millions de Shekels [2,7 millions d’euros], écrit-il au directeur le 5 avril 2022. Alors continuons ainsi et s’il vous plaît, faites en sorte de récupérer toute la TVA». Le 20 avril 2022, ce dernier tente de le rassurer, expliquant qu’il examine plusieurs solutions qui lui permettront idéalement «d’éviter la plupart de la TVA». Mais Patrick Drahi, en matière de taxes et d’impôts, ne semble jamais rassuré. Le même jour, il lui propose donc de parler avec son homme de confiance en Valais et organise une réunion qui aura lieu le 3 mai entre l’un des dirigeants de SpaceIL et Thierry S., ainsi que son expert en fiscalité israélienne.

Beresheet I (qui signifie «au commencement» en hébreu), s’est écrasé sur la surface lunaire en avril 2019 lors d’une tentative d’alunissage, en raison d’une défaillance technique. La société SpaceIL, dont la communication sera coordonnée par Jacques Attali, devrait faire décoller Beresheet II en 2024. Qui sait, un jour, une mission spatiale portera peut-être un nom à cinq lettres.

Contacté à nouveau, Patrick Drahi et ses avocats n’ont pas souhaité répondre à nos questions. Dans une réponse précédente, ils affirmaient néamoins: «par principe, M. Drahi ne commente, ni ne confirme ou n’infirme les allégations relatives à sa vie privée, à celle de ses enfants ainsi qu’à sa religion». Avant d’ajouter avoir «toujours payé les impôts et taxes dont ils sont redevables conformément aux réglementations applicables dans les pays concernés et n’ont jamais fait l’objet d’amendes prononcées par l’administration fiscale genevoise.»