L’Europe et les phages se tendent les bras, mais un cauchemar kafkaïen retarde leur étreinte
Que la phagothérapie ne soit toujours pas disponible en Europe est absurde. C’est une thérapie qui sauve des vies, qui faisait jadis partie intégrante de notre arsenal thérapeutique et qui n’engendre que peu, voire aucun effet secondaire. Comment se fait-il que nous ne puissions pas y recourir librement ? Dans cet épisode, notre journaliste, qui est allée jusque dans le Caucase pour goûter des phages, tente de démêler l'écheveau administratif et réglementaire qui freine leur retour en Europe.
Sur les bords de l’Arve, une tour de verre dressée sur 17 étages. La plus belle vue de Genève lui appartient. A mi-hauteur, protégé par de larges baies teintées, un bureau. Sur ce bureau, un yogourt nature, des trombones et quelques journaux hâtivement parcourus. Assis derrière ce bureau, Darius Rochebin prépare l’édition du soir du journal télévisé. Sa chemise est impeccablement repassée, l’air est bon, la vie fait sens. Plongeons-nous maintenant à 300 mètres de là. Derrière un immeuble gris, au fond d’un couloir étroit du rez supérieur du bâtiment Sciences III de l’université de Genève.
C’est un laboratoire. Il est minuscule et truffé de disques de cultures tachetés et autres curiosités multiformes. A son extrémité gauche, une chambre. Dans cette chambre, un bureau si chargé qu’il serait impossible d’y placer un trombone. Derrière ce bureau, Karl Perron se lève pour saluer. C’est ici qu’il étudie, classe et stocke des trillions de bactériophages issus de l’Arve, la rivière qui nous vient de Haute-Savoie, coule le long du bâtiment de l’université et celui de la télévision et ne va pas tarder, quelques centaines de mètres plus loin, à se mélanger au Rhône pour finir à Marseille. Des phages genevois ? Difficile de délimiter leurs origines précises, mais ce qui est certain, c’est qu’ils ont peu de chances d’être géorgiens.