Rapport sur Mancy: tout le monde en prend pour son grade, à commencer par Mme Torracinta
Nous avons résumé pour vous un rapport de 74 pages. Les députés ont enquêté une année entière pour comprendre comment il a été possible que des enfants autistes soient battus dans un foyer de l'Etat à Genève. Leur conclusion: rien n'a fonctionné correctement et la catastrophe était prévisible, après l'ouverture d'un foyer qui n'aurait jamais dû être autorisée. Voici les passages principaux du rapport.
Ce n’est pas un réquisitoire mais, entre les lignes, cela y ressemble. Le rapport sur les maltraitances d’enfants autistes du foyer de Mancy rendu ce mardi matin par la commission du contrôle de gestion du Grand Conseil genevois se montre d’une grande sévérité, en particulier envers la Conseillère d’Etat Anne Emery-Torracinta et le directeur de l’office médico-pédagogique (OMP) de l’époque, le pédopsychiatre et spécialiste de l’autisme Stephan Eliez.
Deux personnages qui ne s’entendaient pas du tout, explique le rapport, mais qui ont pourtant présidé ensemble à l’ouverture du foyer à l’été 2018 dans une «urgence injustifiée», marquée par «la désorganisation, l’absence de projet institutionnel, l’absence de suivi individualisé [et des] problèmes de ressources humaines». Alors que Mancy aurait dû bénéficier d’une «organisation millimétrée», elle a été «informelle, minimaliste, peu suivie, incontrôlée et, parfois même, improvisée.»
Quatorze mois après les révélations de maltraitances par Heidi.news et Le Temps, quatre ans après les premières alertes, trois députés conduits par le PLR Cyril Aellen livrent enfin la première enquête approfondie sur des dysfonctionnements généralisés. Lesquels ont abouti à ce que, «souvent, [la santé des enfants de Mancy] se dégrade et à ce que les hospitalisations se fassent plus fréquentes et nombreuses.»
Rien ne semble avoir fonctionné pour ce foyer. Avec quelques différences d’appréciation, le rapport des députés corrobore les enquêtes menées par Heidi.news et Le Temps. Vous trouverez ci-dessous ses éléments principaux, sur:
Les circonstances de l’ouverture du foyer,
Le rôle de Stephan Eliez, ex-directeur de l’OMP
Le rôle d’Anne Emery-Torracinta et de son secrétariat général,
Le rôle du premier directeur du foyer
Le rôle des syndicats
Le rôle des éducateurs et d’un infirmier maltraitant
La gestion chaotique des horaires
La gestion hasardeuse des médicaments
Les relations indigentes avec les parents
Les maltraitances
Le rôle de Sandra Capeder, ex-directrice de l’OMP
Le rôle de Laurence Farge, ex-directrice de Mancy
L’ouverture du foyer à l’été 2018
Les trois députés, le PLR Cyril Aellen, la socialiste Jennifer Conti et le MCG Thierry Cerutti, le disent sans fard:
«Les conditions minimales pour autoriser son ouverture n’étaient pas réalisées». L’Etat est passé outre la nécessité d’une autorisation par son propre organe de surveillance, laquelle aurait été «sans aucun doute» refusée. Une ouverture «à la veille des vacances scolaires» et avec une «dotation budgétaire de seulement 1,7 poste fixe sur les 10 nécessaires».
«Ce qui choque unanimement, poursuivent les députés, c’est que tous les aménagements nécessaires à l’accueil de ces jeunes n’ont pas été réalisés avant l’ouverture du foyer (...) même l’achat du mobilier adéquat n’a pas été complètement réalisé les deux premières années.»
L’éclairage, la ventilation, tout est déficient, jusqu’à l’informatique:
«A l’ouverture du foyer, un seul ordinateur était à disposition des collaborateurs et les différentes observations sur les [enfants] étaient enregistrées sur le seul bureau de cet ordinateur. Ces informations étaient donc accessibles à tous et facilement modifiables. Certaines observations ont d’ailleurs été effacées des disques durs du foyer (pour faire disparaître des preuves de maltraitance, ndlr.).»
Le rôle de Stephan Eliez:
Le rapport souligne que le directeur de l’OMP de l’époque, «professeur de médecine reconnu de l’autisme (...) bénéficiait d’une aura particulière qui dissuadait certains contradicteurs d’émettre un avis différent du sien».
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Cela «lui a probablement permis d’imposer l’idée d’une ouverture d’un foyer interne à l’OMP. La divergence de vues qu’il entretenait avec la conseillère d’Etat a certainement contribué au fait que le foyer ait été ouvert sans projet institutionnel clair. A cela s’ajoute que, si [ses] compétences médicales ne sont pas contestables, ses capacités organisationnelles et managériales ont été remises en cause par de nombreuses personnes auditionnées par la sous-commission.»
Le rôle d’Anne Emery-Torracinta et de sa secrétaire générale
La conseillère d’Etat en charge du DIP n’est pas présentée sous un jour plus flatteur:
«De nombreux auditionnés se sont montrés très critiques sur la gouvernance telle qu’exercée par le secrétariat général et la conseillère d’Etat, écrit le rapport. Cette dernière aurait notamment des difficultés à considérer qu’il puisse y avoir quelqu’un dont la charge soit aussi de questionner librement sa vision et, surtout, la mise en œuvre de la politique publique du département.»
Les députés pointent en particulier le «climat de méfiance» qu’elle a fait régner dans son département, dans lequel:
«Il est matériellement difficile pour un directeur général de rapporter un problème de son service au secrétariat général ou à la conseillère d’Etat. Si un directeur a un problème (...) et que ses compétences sont immédiatement remises en cause lorsqu’il évoque ledit problème, il s’instaure alors une sorte de loi du silence. De peur de se voir reprocher certaines actions (ou inactions), les hauts cadres se taisent ou donnent une version édulcorée des problèmes rencontrés.» Plus loin: «de hauts fonctionnaires seraient restés en retrait, craignant d’être réprimés s’ils n’étaient pas dans la ligne stratégique ou politique voulue. Des personnes clés auraient quitté l’OMP ou la direction du DIP lorsque cela était possible.»
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La secrétaire générale de la conseillère d’Etat, en l’occurrence Paola Marchesini depuis 2018, n’est pas épargnée non plus. Il lui est reproché du «micro-management» qui aurait abouti à une «mise sous tutelle l’OMP (...) sans mesure organisationnelle et sans communication adéquate. Les députés dénoncent un «phénomène de centralisation très présent au sein du DIP. (...) La vitalité et la capacité de création fondées sur le principe de la confiance ont progressivement disparu».
«Les impératifs de communication priment sur la résolution du problème initial.»
Cela a effacé les secrétaires généraux adjoints, créant:
«Un flou organisationnel [lequel a] induit, à la moindre crise, un double flux de réactions contradictoires, plus dicté par la peur que par la bonne gestion: les cadres responsables s’abstiennent de toute décision par crainte de la sanction et laissent place à un micro-management de la direction générale, voire de la magistrate, mis en place par crainte du potentiel effet médiatique. La difficulté concrète rencontrée se transforme en risque médiatique et il s’instaure un cercle vicieux où les impératifs de communication priment sur la résolution du problème initial.»
Le rôle du premier directeur de Mancy
Ce dernier, en place de juillet 2018 à juin 2020, a refusé d’être auditionné, sous prétexte qu’il est sous le coup d’une procédure pénale. Les députés estiment que ce refus est «incompréhensible et inacceptable», «contraire à l’intérêt général du canton, (...) d’autant plus qu’il occupe désormais une fonction dirigeante dans un établissement subventionné du canton.»
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