Parents, que retenir de la polémique sur le «time out» et l'éducation positive?

Pixabay / Victoria Watercolor

La polémique sur l'éducation des enfants fait rage. Faut-il bannir toute punition ou recourir au «time out», comme le préconise la psychologue Caroline Goldman? Pas facile pour des parents de s'orienter dans ce maquis. Soyons raisonnable et voyons ce qu'ils peuvent en tirer.

Exceptionnellement, cet article est en accès libre. N'hésitez pas à nous soutenir en vous abonnant.

«Au coin!», «Tu reviendras quand tu seras sage!»... Quel enfant n'a jamais été envoyé dans sa chambre, enjoint de se calmer? Depuis quelques semaines, les prises de position s'enchaînent pour crucifier ou défendre le «time out», ou «temps mort», cette façon de se donner un peu d’air face à un enfant en toupie, érigée en pratique éducative.

Pour ses défenseurs, le «time out» tranche avec les préceptes d’une éducation positive perçue comme laxiste et étouffante. Pour ses détracteurs, la méthode relève d’une forme d'autoritarisme et de violence à bannir. Acerbe, baignée de considérations idéologiques, la polémique jette le trouble sur les effets réels de cette pratique.

«Laxisme», «dressage»… un débat médiatique sans nuances. En octobre 2022, Le Figaro révèle que le Conseil de l’Europe, entend supprimer le «time out» de ses recommandations, sous la pression d’associations françaises. Jusqu’ici, cette punition figurait en bonne place dans ses recommandations pour la parentalité positive, sous le vocable de «mise à l’écart temporaire».

Quelques mois plus tard, Caroline Goldman, docteure en psychopathologie clinique (tendance psychanalysante), chantre du retour aux “limites éducatives”, s’indigne du rétropédalage de l’institution, puissante machine à produire des normes, dont la Suisse est membre. Dans le Monde du 15 février, la spécialiste rallume la mèche.

Lire notre exploration: Il n’y a plus d’enfant normal

Selon l’auteur de File dans ta chambre! (éd. Dunod, 2020), les tenants français de l’éducation positive, ce courant qui préconise de toujours montrer l’exemple et renoncer à toute sanction, sont coupables de laxisme. Congédier son enfant aurait d’importantes vertus éducatives, et ce, dès l’âge de 1 an. Un «consensus international scientifique» soutiendrait même son propos.

Les réactions sont vives et immédiates.

  • Signe des tensions générées, le fondateur de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire (OVEO), Olivier Maurel, a personnellement adressé à Caroline Goldman une lettre condamnant son propos.

  • Dans une tribune au Monde, Pierre Vesperini, historien de l’Antiquité et intellectuel, dénonce une forme de «dressage», insinuant que le «time out», au sens de Caroline Goldman, est dangereux.

  • D’autres prennent parti pour Caroline Goldman, comme le psychanalyste Jean Plissonneau dans cette tribune au Monde, pour qui la frustration est essentielle à la construction psychique de l’enfance.

De quoi laisser les parents pantois, et en quête de bons conseils.

Ni péril… ni idylle. Dangereux le «time out»? La science ne démontre en réalité ni péril… ni idylle. «Si on veut se faire un avis éclairé, il faut examiner la littérature scientifique de près», recadre Franck Ramus (Ecole normale supérieure de Paris), un des chefs de file de la psychologie scientifique en France, pour Heidi.news.

Et le chercheur en sciences cognitives de préciser:

«Les études ne disent pas que cette punition endommage le cerveau, comme on a pu l'entendre, ni que c’est une panacée éducative.»

Si Caroline Goldman s’emploie à en faire un concept central de sa démarche éducative, il s’avère que le «time out» n’a jamais été étudié comme tel. «C’est un outil, au sein d’une boîte à outils comportementale, qui elle a fait preuve de son efficacité, et que l’on peut englober sous le nom de ‘renforcement du comportement positif’», détaille le chercheur, dans un billet de blog qu’il a tenu à publier dans la foulée de la controverse. Le «"time out" peut être utile mais il n’est pas non plus indispensable.»

Quand la science se tait. Au sens strict, le «time out» vise à générer une «coupure dans l’interaction» entre les parents et les enfants. Celle-ci évite que les réactions, positives ou négatives, ne viennent nourrir encore plus le tourbillon d’émotions de l’enfant. Voilà pour l’origine du concept.

S’il fait partie de l’attirail des parents en difficulté de longue date, le temps mort a fait irruption dans le monde de la recherche dans les années 1960, conceptualisé par des chercheurs en psychologie comportementaliste, centrés sur les effets des stimuli sur le cerveau humain.

Dans un article publié en 2019 dans American Psychologist, Mark Dadds et Lucy Tully, deux chercheurs spécialistes de l’éducation positive, proposent un cadre d’utilisation destiné à éviter des effets délétères sur l’enfant.

  • Le temps mort ne doit pas être utilisé sur un enfant qui agit par inadvertance, aussi grave soit sa bêtise.

  • Le parent doit se montrer calme et propice à l’attachement, lorsqu’il utilise cette pratique – et ne pas chercher à «intimider l’enfant», donc, comme le recommande par ailleurs Caroline Goldman.

Régulièrement, les différents théoriciens de l’éducation ajoutent ou suppriment le «time out» de leurs systèmes éducatifs, au gré des orientations de leurs travaux.

Difficile, donc, de tirer de la littérature scientifique des conclusions utiles à la vie de tous les jours. De quoi donc laisser libre cours aux fantasmes, alors que l'époque est à la mutation du modèle familial, s’inquiète Franck Ramus, dans son billet de blog:

«Sorti de ce cadre bien précis, le temps mort peut être utilisé n’importe comment, et dans ce cas on risque de perdre à la fois son efficacité et son côté bienveillant. C’est le principal problème que posent les incitations à utiliser le temps mort dans un cadre non établi scientifiquement, sans que les clés de l’efficacité de cette pratique ne soient données aux parents.»

En dehors du champ scientifique, la pratique fait d'ailleurs seulement figure de dernier recours, dans les recommandations gouvernementales.

  • «Un temps mort permet au parent et à l'enfant de se calmer quand les sentiments et les émotions peuvent devenir incontrôlables», précise par exemple le Center for Disease Control, l’agence de santé publique américaine.

  • Le Conseil de l’Europe était jusqu’à présent sur la même ligne, bien loin d’en faire un principe éducatif central.

Une charge contre les dérives de l'éducation positive. La polémique autour du «time out» a surtout mis au jour un affrontement plus large. D’un côté, ceux qui suivent, parfois sans nuance, les préceptes scientifiques du «renforcement positif» qui ont infusé dans nos sociétés depuis les années 1990. De l’autre, ceux qui militent pour maintenir ou revenir à une éducation centrée sur la sanction.

Dans File dans ta chambre!, Caroline Goldman écrit par exemple:

«Il ne faut pas hésiter à laisser l’enfant, au-delà de quatre ans, une demi-heure ou plus dans sa chambre. Car l’enjeu (...) est de lui faire passer un moment assez inconfortable pour qu’il ne recommence pas.»

C’est sur cette crainte d’une société laxiste, permissive, dépourvue de tout cadre –jamais défendue dans les théories académiques – que carbure réellement la polémique.

Xavier Briffault est sociologue au Cermes3 (Paris), un laboratoire spécialisé dans les rapports entre la science, la santé et la société. Pour Heidi.news, il analyse:

«Grossièrement, deux postures s’affrontent. D’un côté, on met l’accent sur les pulsions et la violence de l’enfance, ses débordements, qu’il faut alors limiter. De l’autre côté, on se concentre sur le rapport au monde de l’enfant, façonné par son environnement, et par le langage. Il faudrait ainsi plutôt montrer, expliquer, encourager.»

Etre parent, sérieux exercice de légèreté. Reste qu’au-delà du concept scientifique, nombreux sont les parents à envoyer leurs enfants dans leur chambre. Et ce, sans autre théorie que leur intuition et leurs valeurs. C’est grave, docteur? Xavier Briffault:

«Tout dépend toujours de ce qu’on fait des outils scientifiques», souligne le sociologue. Certaines crises, les plus intenses, peuvent en effet nécessiter une interruption temporaire de la relation, c’est d’ailleurs une méthode utilisée en psychiatrie. Mais dans ce cas, le but est uniquement d’éviter que la situation empire. Ce qu’il faut retenir, c’est que le "time out" n’inculque rien.»

Si la science n’est pas pourvoyeuse de prêt-à-penser éducatif, elle fournit tout de même un cadre. Héloïse Junier, docteure en psychologie de l'université de Paris, et auteure du "Manuel de survie des parents" (Dunod, 2022), contactée par Heidi.news:

«Tout le monde se concentre sur le "time out", mais en réalité, ce qui est en jeu, c’est le retour en grâce de la punition, sous une autre forme que les coups. Or, actuellement, ce qui est préconisé, et ce dont on est sûr de l’efficacité, c’est le renforcement du comportement positif. Montrer, et encourager le bon comportement. Tout le reste n’est qu’interprétation hasardeuse. Cela ne veut jamais dire laisser l’enfant tout faire. On énonce le cadre, et applique des limites, mais sans violence.»

Elle aussi, a réagi expressément à la controverse. Son texte à elle – un billet posté sur LinkedIn – avait vocation à apaiser les débats:

«Beaucoup de parents essayent de coller à une méthodologie, mais il y a toujours un écart entre la réalité et ce qu’on veut faire. Tendre vers un idéal n’est pas une mauvaise chose, si l’on garde en tête que ce n’est pas possible de l’atteindre complètement, et que ce n’est pas grave. On fait ce qu’on peut.»