OPINION - Retraites: sortir du monde parallèle

Pierre-Yves Maillard

Pierre-Yves Maillard est conseiller national (PS) et président de l'Union syndicale suisse. Alors que le parlement a adopté ce mercredi 15 décembre la réforme AVS21 et que LPP21, la réforme de la prévoyance professionnelle, est toujours entre les mains de ce dernier, Pierre-Yves Maillard s'oppose encore à une augmentation de l'âge de la retraite et ne veut pas d'une baisse du taux de conversion sans compensation réelle.

Dans le débat sur les retraites, il existe un monde parallèle. Dans ce monde béat, auquel semblent croire les élus fédéraux des partis de droite, tous les jeunes trouvent un apprentissage ou une place de travail. Il n’y a pas de chômage des seniors. Les femmes reçoivent les mêmes salaires que les hommes, qui assument à égalité les tâches éducatives. Il existe autant de places de garde d’enfant que nécessaires et elles sont abordables financièrement. Chaque travailleuse et chaque travailleur peut poursuivre jusqu’à plus de 65 ans son activité professionnelle sans épuisement ni maladie. Et les rentes de retraite permettent de vivre décemment et de s’autoriser quelques loisirs.

Puisqu’ils croient à tout cela, les élues et les élus de droite assument sans peine leur volonté d’augmenter l’âge de la retraite, d’abord celui des femmes, puis celui des hommes et des femmes jusqu’à 66 ans, puis plus loin encore si l’espérance de vie augmente. C’est leur argument massue. Puisque l’on vit plus longtemps, il faut travailler plus longtemps, disent-ils. Comme si la démographie était le seul paramètre qui doit régir ce débat.

La réalité. Mais dans le vrai monde, les femmes subissent encore des inégalités tout au long de leur carrière professionnelle. Les seniors et les jeunes ne trouvent pas tous leur place dans un marché du travail exigeant et compétitif. Les places de crèche manquent, au point que les jeunes retraités sont une ressource indispensable pour permettre à leurs enfants de gagner leur vie tout en sachant que leurs propres enfants sont bien pris en charge.

Un surcoût de plusieurs centaines de millions. L’économie nette pour l’AVS du projet de hausse de l’âge de retraite des femmes est de l’ordre de 800 millions de francs par an. Si seulement 10% des heures de garde d’enfants gratuites que fournissent les grands-mères sont perdues à cause de cette mesure, alors cela signifie que ces «économies» pour l’AVS seront en fait payées par les jeunes parents avec enfants. Et si, en outre, il faut supporter ne serait-ce que 5000 chômeuses et chômeurs de plus en raison des 50’000 femmes qui devront occuper leur place de travail une année de plus, alors il n’y a plus d’économie pour la société en général, mais un surcoût de plusieurs centaines de millions.

Des montants de retraites insuffisants. Dans la réalité, les rentes ne suffisent souvent plus pour vivre. Elles ont été gravement érodées par la baisse des paramètres techniques de la LPP. Avec le même capital, quelqu’un qui partira à la retraite en 2025 aura 20% de rente LPP en moins que quelqu’un qui est parti à la retraite en 2010. Tout cela alors que les rentes cumulées AVS et LPP moyennes dépassent à peine 3000 francs par mois.

Trouver des solutions. Dans la réalité du monde d’aujourd’hui, il ne faut pas augmenter l’âge de la retraite, ni baisser sans compensation réelle le taux de conversion LPP. Il faut trouver des solutions de financement. A ce sujet, la BNS s’apprête à faire un bénéfice 2021 qui à lui seul représenterait 50 années d’économies nettes prétendument obtenues par le projet d’augmentation de l’âge de la retraite des femmes voté par les chambres fédérales…

Pour aborder enfin rationnellement le débat sur la retraite, il est impératif de revenir dans le monde tel qu’il est, où la démographie n’est qu’un paramètre parmi d’autres et où les richesses accumulées par la Suisse devraient lui permettre, autant que pendant les décennies précédentes, de financer des rentes décentes pour celles et ceux qui ont travaillé toute leur vie.