Une véritable campagne semble alors avoir été orchestrée contre la possible nomination d’un recteur étranger, faite de déclarations inhabituelles et de fuites savamment distillées dans la Tribune de Genève, dont sont issus une grande partie des communicants de l’Université et de l’Etat. Delenda Carthago, disait Caton l’Ancien, il faut détruire Carthage…
[Il faut quelqu’un] «qui connaisse très bien les enjeux de la formation et de la recherche en Suisse, ainsi que notre système politique. En somme, une personnalité issue du canton ou pour le moins d’une haute école romande», a déclaré la Conseillère d’Etat.
Laquelle, curieusement, ne s’est pas plainte des fuites dans la presse, peut-être parce que pour une fois, elles ne concernaient pas les scandales de son propre département.
L’Université, fondée en 1599 par un certain Jean Calvin dont on peut rappeler qu’il n’était pas né au bord du Léman, s’est donc choisi mercredi 11 janvier un nouveau recteur en la personne du professeur québécois Eric Bauce, vice-recteur de l’Université de Laval, l’une des plus grandes du Canada. Or ce choix doit encore être avalisé par le Conseil d’Etat, car selon la Loi sur l’université, article 27, alinéa 2:
«La rectrice ou le recteur est désigné par l’assemblée de l’Université après consultation du conseil d’orientation stratégique et nommé par le Conseil d’Etat».
Après la mention de cet article 27 dans une publication précédente de Heidi.news, la Conseillère d’Etat Anne Emery-Torracinta a personnellement contacté la rédaction pour signaler, quelques paragraphes plus bas, l’article 32, alinéa 2 de cette même loi:
«L’Assemblée de l’Université désigne la rectrice ou le recteur proposé à la nomination par le Conseil d’Etat».
Les juristes apprécieront la cohérence des lois genevoises, avec deux articles qui disent sensiblement la même chose mais pas tout à fait, et pourront disserter sur la différence entre l’esprit et la lettre de la loi. Cette démarche d’Anne Emery-Torracinta semble néanmoins indiquer qu’elle en fait une affaire personnelle et œuvrera dans toute la mesure de son possible pour bloquer la nomination d’Eric Bauce, plongeant l’Université dans une crise majeure quelques semaines avant la fin de son propre mandat.
Je ne connais pas Eric Bauce. Toutes les rumeurs en provenance du Québec ne sont pas flatteuses: il était dans la roue de Denis Brière, décédé l’an dernier, qui fut recteur de l’Université de Laval de 2007 à 2017. Il a échoué à deux reprises à conquérir le rectorat contre Sophie D’Amours, dont le management a été jugé «plus horizontal, moins centralisé et autoritaire», affirme une source ayant contacté Heidi.news. Son parcours est néanmoins intéressant: après un doctorat en entomologie forestière à New York, il enseigne 30 ans à l’Université de Laval dont il est vice-recteur depuis dix ans. Il a œuvré pour rendre son institution de 56’000 étudiants neutre en carbone et l’a hissée au deuxième rang mondial en développement durable.
On peut supposer que les 45 membres de l’Assemblée de l’Université de Genève ayant auditionné les candidats n’ont pas pris leur décision à la légère, eux qui dénoncent dans leur communiqué les «pressions inacceptables», politiques et médiatiques, qui «violent l'autonomie de l'Université telle que prévue par la loi.»
Résumons: Eric Bauce coche un certain nombre de cases, mais il lui en manque une: il n’est pas genevois, ni même suisse. Oui, Genève n’est plus la cité de Calvin, mais celle de Chauvin. Notons qu’officiellement, la nationalité ou le parcours ne font pas partie des critères fixés par la loi, qui sont au nombre de trois:
être titulaire d’un doctorat
bénéficier d’une expérience en matière de pilotage d’une institution semblable à l’Unige,
jouir d’un état de santé permettant de remplir les devoirs de la fonction.
Mais voilà, il y a aussi les règles non écrites, en particulier quand la politique fait intrusion dans le monde académique. Pour certains membres de l’exécutif en fin de course, il pourrait être tentant de partir sur un dernier coup d’éclat. Sachant qu’il est plus simple de bloquer une nomination que d’honorer un programme de législature, par exemple sur l’école inclusive.