EXCLUSIF — Mancy: Comment Mme Torracinta a cherché à édulcorer sa responsabilité dans le rapport parlementaire
Le rapport de la commission de gestion sur les maltraitances au sein d’un foyer d’enfants autistes à Genève a fait l’objet de négociations avec la principale concernée. La conseillère d’Etat a obtenu des modifications qui atténuent plusieurs critiques à son égard et chargent ses subordonnés, dont la directrice de l’OMP qu’elle a déjà écartée. Voici les principaux passages supprimés, modifiés ou ajoutés à son initiative.
La sous-commission parlementaire genevoise dirigée par le député PLR Cyril Aellen sur les graves dysfonctionnements du foyer de Mancy, où des enfants autistes ont été frappés, enfermés ou privés de nourriture et de soin par des éducateurs ou des infirmiers, a publié son rapport le 13 mars 2023. (La forme masculine est utilisée ici mais il s’agit aussi bien d’hommes que de femmes). Ce rapport, dont Heidi.news a publié les principales conclusions le jour même, a représenté plus d’un an de travail et des dizaines d’entretiens. Après plusieurs enquêtes et audits bâclés, il donne à ce jour l’image la plus complète des raisons et des circonstances de cette faillite majeure de l’Etat envers sa population la plus démunie.
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Cependant, avant la publication et la conférence de presse, les trois députés de la sous-commission chargée de l’enquête ont partagé leur texte avec la principale concernée, la conseillère d’Etat socialiste Anne Emery-Torracinta, cheffe du département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (DIP). Outre les auditions en cours d’enquête en 2022, deux rendez-vous ont eu lieu en 2023, le 28 février, et le 3 mars, lors desquels la conseillère d’Etat a demandé de nombreuses modifications – et les a obtenues, en bonne partie. Notons que le rapport public reste critique à l’égard d’Anne Emery-Torracinta, dont certaines demandes de modification n’ont pas été acceptées par les députés.
Le partage d’un rapport parlementaire avec le magistrat concerné avant sa publication peut surprendre, parce que cela déroge au principe de séparation des pouvoirs entre législatif et exécutif. Par ailleurs, la conseillère d’Etat a été la seule personne évoquée dans le rapport à pouvoir se prononcer sur son contenu, les autres ont découvert le 13 mars en quels termes ils étaient décrits. C’est pourtant le fonctionnement habituel de la commission de gestion du Grand Conseil. Cyril Aellen, soumis au secret de commission, n’a pu se prononcer dans le cadre de cet article.
Heidi.news a pu comparer la version du rapport des députés avant ces rendez-vous, datée du 14 février 2023, désignée ci-dessous «rapport initial» (même si d’autres versions intermédiaires ont été rédigées avant), avec celle rendue publique le 13 mars. Le jeu des différences est fastidieux: il y en a une centaine. Nous détaillons les plus éclairantes ci-dessous.
Certaines modifications sont factuelles, sur l’organisation administrative du département, des références au cadre légal ou des dates sur la période ayant précédé l’ouverture du foyer. Mais ce n’est pas tout. Les modifications importantes obtenues par Anne Emery-Torracinta semblent poursuivre deux objectifs principaux:
Alléger les responsabilités qui la concernent directement ou qui concernent sa secrétaire générale, Paola Marchesini.
Retirer à ses subordonnés certains de leurs mérites et charger certains d’entre eux. Notamment Sandra Capeder, ex-directrice de l’OMP, qui a mené l’enquête sur les maltraitances mais a été écartée en décembre 2021 puis licenciée au printemps 2023.
Des méthodes qui expliquent peut-être cette phrase exaspérée de la députée socialiste Jennifer Conti lors de la présentation, le 13 mars 2023, du rapport de l’enquête à laquelle elle a participé: «Quand on est le capitaine d’un paquebot comme le DIP et qu’on rate le cap, on ne charge pas la seconde qu’on a soi-même choisie. On prend ses responsabilités et on s’excuse!»
Note: La numérotation des pages dans les deux versions varie légèrement, précisément en raison des adjonctions et modifications.
Alléger ses responsabilités
➢ Passage supprimé
La date à laquelle le sommet du DIP a été informé (page 62 du rapport initial, qui aurait dû apparaître à la page 67 de la version publique):
L’OMP a informé le Secrétariat général du DIP, en janvier 2021 que des enfants avaient été privés de nourriture, tirés, laissés dans leur urine et enfermés pendant des heures et qu’il prévoyait d’informer la conseillère d’Etat à ce sujet.
Pourquoi c’est important: la conseillère d’Etat a longtemps prétendu n’avoir été informée de maltraitances qu’à la fin mars 2021 avant d’admettre une date en février, pour sa secrétaire générale. Là, il est question de janvier. Au-delà des déclarations successives d’Anne Emery-Torracinta, la date est importante parce qu’elle détermine le délai de prescription (un an) pour lancer des procédures à l’encontre des éducateurs et infirmiers ayant commis les violences envers les enfants. Las, ces délais seront tous dépassés et aucun n’a fait l’objet de sanctions.