«En dépit des qualités du candidat et indépendamment de sa nationalité, le Conseil d'Etat ne peut entériner cette proposition dans le contexte actuel et au vu des enjeux et défis auxquels les hautes écoles suisses doivent faire face. De plus, pour des raisons d'âge, le professeur Bauce [62 ans] devrait bénéficier d'une dérogation pour être nommé et ne pourrait effectuer un deuxième mandat.»
Lire l’interview d’Eric Bauce: «J’ai proposé de faire de l’Unige un exemple à suivre»
Une gifle cinglante. Avec cette décision, le Conseil d’Etat va à l’encontre des choix et recommandations de:
L’Assemblée de l’université, 45 membres élus en 2021 pour 4 ans, composée de 20 professeurs, 10 étudiants, 10 membres du corps intermédiaire et 5 membres du personnel administratif et technique;
Du Conseil d’orientation stratégique, 7 membres nommés par le Conseil d’Etat et présidé par la professeure Barbara Haering, pour la plupart professionnels de la gestion de grandes universités;
L’Association Accorder, qui représente le corps intermédiaire, ayant elle aussi choisi de soutenir Eric Bauce, notamment en raison de sa volonté de lutter contre la précarité des chercheurs et assistants.
Les conséquences.
Le refus du Conseil d’Etat d’entériner le choix de l’Assemblée de l’université ouvre une crise institutionnelle majeure sur l’autonomie de l’Université et le rôle du politique dans le monde académique.
Une nouvelle procédure de recrutement doit être lancée par l’Assemblée de l’université, à qui revient cette responsabilité selon la loi sur l’université.
Combien de temps cela va-t-il prendre? Entre la publication du poste, le délai imparti pour se présenter et le tri des candidatures, il est peu probable dans le contexte qu’un nouveau recteur soit choisi avant l’automne 2023 et puisse entrer en fonction avant 2024.
Le recteur actuel, Yves Flückiger, 67 ans, a assuré être prêt à assurer un intérim. Il lui faudra pour cela une nouvelle dérogation en raison de son âge. D’autres membres de son rectorat approchent aussi de la limite d’âge.
Les réactions
- L’Assemblée de l’Université, par email:
«prend acte avec gravité de la décision du Conseil d’État. Le signal envoyé remet en question l’esprit de la loi sur l’Université de 2008, approuvée par référendum à plus de 70% des voix, loi qui a introduit l’autonomie de l’Université. Cette décision dénote une défiance envers une Assemblée participative, représentante des différents corps de l’Université, qui a mené une procédure dans le strict respect du cadre légal, et opéré un choix en toute indépendance.»
- Mario Annoni, ancien conseiller d’Etat bernois et ancien président du Conseil d’orientation stratégique de l’UNIGE, actuel président de la SSR Suisse Romande, par téléphone avec Heidi.news:
«La loi genevoise sur l’Université de 2008 est le résultat des travaux coordonnés par Ruth Dreifuss suite à la crise de 2006. C’est une des plus démocratiques en Suisse dans le monde académique. Elle fait de l’Assemblée de l’Université l’émanation de toute la communauté universitaire et lui donne comme compétence par excellence de désigner le recteur. J’étais sceptique, mais cette Assemblée a fonctionné parfaitement pour désigner le recteur sortant. Je n’ai pas suivi de près la situation mais à ma connaissance, elle n’a pas travaillé moins sérieusement pour choisir sa succession. Pour moi, cette décision du Conseil d’Etat va à l’encontre de l’esprit de la loi sur l’université.»
- Moins diplomate, Baptiste Gold, juriste, ancien représentant des étudiantes et des étudiants auprès de l’Assemblée de l’Université de Genève et membre des jeunes Vert’Libéraux:
«On se paie de notre tête en parlant de l’âge d’Eric Bauce alors que le recteur actuel a 67 ans. L’ingérence d’un Conseil d’Etat en passe d’être remplacé dans moins de trois mois est inadmissible. L’autonomie de l’institution universitaire genevoise, fruit de la crise institutionnelle de 2006, est ainsi bafouée et le travail de l’Assemblée balayé. L’expérience du candidat, ses compétences, ses projets, sa renommée internationale et l’intérêt de la communauté universitaire ont été relégués au second plan.»
A l’arrière-plan. Derrière cette crise, au moins deux dossiers brûlants:
Les budgets de l’Unige sont menacés par le renoncement du Conseil fédéral à l’Accord cadre avec l’Union européenne. L’époque des grands professeurs américains et autres attirés par la possibilités de grands laboratoires à Genève est révolue.
La numérisation des études semble un chantier à l’arrêt. La vieille garde tient aux cours ex cathedra alors qu’une formule hybride en présentiel et en ligne est souhaitée par de nombreux étudiants, qui sont 70% à travailler à côté de leurs études.