A Genève, le DIP a offert un poste de chef au principal auteur des violences contre les enfants de Mancy

Une vue des batiments des OMP du Centre de Mancy, dont le Foyer de Mancy (février 2022). | Keystone / Martial Trezzini

Le département de l’instruction publique avait assuré que des procédures étaient engagées contre les responsables de maltraitances de jeunes autistes. Or selon les informations de Heidi.news et de Léman Bleu, l’un d’eux, accusé de «violence délibérée» par ses anciens collègues, devait être nommé chef de secteur au sein de l’office de l’enfance et de la jeunesse. La polémique le fait finalement renoncer à ce poste.

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On l’appellera Jean-Louis*. Il est infirmier et a fait partie à l’été 2018 des premiers employés à l’ouverture du foyer de Mancy pour enfants autistes. En l’absence d’un cadre médical et éducatif précis – le directeur du foyer n’y était alors qu’à temps très partiel – c’est en grande partie lui qui a instauré, pour l’équipe d’encadrement, les méthodes musclées qui ont fait scandale. Son mantra de l’époque: «c’est aux enfants de nous obéir, pas le contraire». Une démarche qu’aucun spécialiste de l’autisme ne recommande.

«Violence délibérée». Jean-Louis, la quarantaine, est décrit par ses anciens collègues comme sportif et charpenté. La première alerte sur les maltraitances intervient le 15 mai 2019. Plusieurs éducateurs partagent leurs observations avec le directeur de l’époque, qui ne remontera pas l’information.

Dans le compte-rendu de cette réunion, que Heidi.news a pu consulter, il est dit notamment que l’infirmier a traîné Diego* «de sa chambre à la salle de bain par le col de sa veste». Un peu plus loin: «Jean-Louis n’a aucunement cherché d’autre stratégie éducative. Utilisation de la violence délibérée.»

Dans un témoignage recueilli par Heidi.news en janvier 2022, une éducatrice se souvient:

«Un des jeunes devait partir en camp. Il avait peur de Jean-Louis. Au moment de quitter le foyer, il l’a croisé et s’est figé. L’éducateur s’est éloigné, mais est quand même resté. Il ne voulait pas céder. L’enfant a commencé à paniquer et à monter les tours. Jean-Louis l’a alors empoigné, jeté par terre et a pesé avec son genou de tout son poids sur son torse, comme sur un ring.»

Plusieurs empoignades de ce type ont eu lieu, à l’extérieur, dans les couloirs du foyer ainsi que dans le minibus des excursions. D’autres accusations contre Jean-Louis concernent des enfants enfermés, des croche-pattes, des clé de bras, des contentions musclées.

Enfant terrorisé. Selon plusieurs témoignages, Jean-Louis s’est vanté, devant ses collègues, d’avoir fait un «high kick», un coup de pied de sport de combat, dans la poitrine de Diego, soi-disant pour se défendre. Il a aussi traîné par les pieds un enfant qui ne voulait pas se doucher. Autre épisode: Jean-Louis se tenait à l’entrée de la cuisine où mangeaient les enfants. Comme Diego était «terrorisé» par lui, il n’osait pas entrer:

«Jean-Louis avait décidé que ce n’était pas à lui de quitter la pièce, raconte une éducatrice. Alors Diego est parfois resté sans manger pendant deux jours. On nous disait: “de toute façon, il ne va pas se laisser mourir de faim”».

Le 3 mars 2022, après que Heidi.news et Le Temps ont révélé, fin janvier, le scandale de Mancy, le département genevois de l’instruction publique (DIP) organise une conférence de presse très courue pour partager les conclusions d’une enquête interne confiée par la conseillère d’Etat Anne Emery-Torracinta à deux de ses proches.

  • L’enquête est décevante, car elle n’interroge pas la responsabilité des hautes sphères du département et évite des témoins importants.

  • Néanmoins, la secrétaire générale Paola Marchesini déclare à cette occasion que dix procédures administratives ont été ouvertes contre les éducateurs et infirmiers accusés de violences:

«Certaines sont terminées et ont entraîné des résiliations de contrat, d’autres sont suspendues à cause des enquêtes pénales en cours.»

Propulsé chef de secteur. En vérité, les mesures prises par le département semblent concerner avant tout les personnes ayant dénoncé ou documenté les maltraitances à Mancy. Au moins deux ont été écartées ou licenciées: Laurence Farge, directrice du foyer après le départ de Jean-Louis et Sandra Capeder, directrice de l’office médico-pédagogique ayant mené une longue enquête interne sur Mancy au début 2021.

La carrière de Jean-Louis, elle, n’est pas affectée. En juillet 2019, il est transféré, toujours au sein du DIP, comme infirmier scolaire dans deux écoles genevoises successives.

Cette semaine, selon les informations de Heidi.news et Léman Bleu, il s’est même vu offrir une promotion importante – à laquelle il renonce finalement en dernière minute. Selon un email interne dont nous avons pris connaissance, il devait être propulsé à un poste de chef de secteur du service de santé de l'enfance et de la jeunesse (SSEJ).

  • Le SSEJ dépend de l’office de l’enfance et de la jeunesse (OEJ), une des cinq directions du DIP avec l’enseignement obligatoire, secondaire, la formation professionnelle et l’office médico-pédagogique dont dépend le foyer de Mancy.

  • Sa mission? «Prévenir les atteintes à la santé et protéger l'intégrité des enfants et des jeunes dans les établissements scolaires publics et les institutions de la petite enfance.»

«Qualités personnelles remarquées». Le courriel, adressé à tous les collaborateurs du SSEJ, chantait les louanges de Jean-Louis:

«Durant tout son parcours, Monsieur X (Jean-Louis, ndlr.) a développé de solides compétences professionnelles renforcées par des qualités personnelles remarquées: soucieux du respect des personnes, sachant combiner leadership et travail d’équipe, alliant cordialité et rigueur, souplesse et efficacité.»

Contacté, Jean-Louis n’a pas retourné nos appels. Quant au DIP, il a répondu ainsi à nos questions:

«La direction générale de l'Office de l'enfance et de la jeunesse (OEJ) a été informée hier [25 janvier] par le Service santé de l'enfance et de la jeunesse (SSEJ) de la promotion future du collaborateur qui motive votre questionnement. Elle l'a reçu ce matin [26 janvier]. Quand bien même ce dernier donne entière satisfaction dans son poste actuel, il a fait le choix de renoncer à prendre ces nouvelles fonctions. En effet, le contexte ne permet pas une prise de fonction sereine, ni pour l'office, ni pour la personne concernée.»

Selon nos informations, le cas de Jean-Louis a également intéressé la sous-commission d’enquête «Mancy» du Grand conseil, qui l’a auditionné durant une heure et demie. L’infirmier s’est contenté de minimiser les faits. Il a défendu ses méthodes, notamment de «contention», et rappelé la difficulté des cas dont il avait la charge ainsi que les problèmes structurels du foyer. Selon lui, parler de maltraitance trahit une méconnaissance des réalités du terrain. Les députés rendront leurs conclusions prochainement.

En parallèle, une procédure pénale est dirigée par le Ministère public dans le cadre, notamment, d’un cas d’empoisonnement d’une adolescente au Temesta survenu au foyer en 2021. Jean-Louis, quant à lui, n’est pas inquiété par la justice.


* Prénoms modifiés.