A Genève, ces bâtards que l’on réduit au silence
Autrefois disgraciés, les enfants illégitimes étaient au moins nommés. «Etreintes paillardes» de Loraine Chappuis (Georg, 2022), dont l’ouvrage sera au Salon du Livre, décrit leur statut cruel dans la Genève de l’Ancien régime. Et aujourd’hui? La sexualité hors mariage n’est plus condamnable, mais les enfants qui en sont issus souffrent du non-dit. Ils peinent à effectuer le travail de mémoire nécessaire à leur réhabilitation, découvre notre journaliste en croisant une amie de longue date.
Je faisais mes courses au marché de Rive lorsque je suis tombée sur Julie (prénom modifié). Son caddie, rempli de commissions, était couronné d’un large bouquet de pivoines orangées. Cela faisait bien dix ans qu’on ne s’était pas vues. On s’est installées sur la terrasse de chez Léo. Après quelques expressos, Julie m’a confié que son père n’était pas son père. Elle s’en est rendue compte lors de sa dernière grossesse.
Chaque nuit, à la même heure, elle se réveillait avec cette étrange sensation que sa famille n’était pas sa famille. Vinrent ensuite des rêves où son visage était rayé des photos de famille. Elle aurait voulu ne pas y prêter attention, mais plus elle résistait, plus ses angoisses s’intensifiaient.