Pour un Swiss Cloud au service de la souveraineté numérique suisse 

Fathi Derder

Des entrepreneurs et chercheurs suisses lancent une initiative populaire pour la souveraineté numérique suisse et demandent la création d’un Swiss Cloud, confié à des acteurs suisses. Et non américains et chinois, comme le prévoit le Conseil fédéral. Fathi Derder, journaliste et ancien conseiller national (2011–2019) revient sur ce feuilleton rocambolesque typiquement bernois pour le groupe de travail Swiss Cloud for Swiss Sovereignty.

C’est une histoire bernoise. Une histoire déconcertante, et truffée de contradictions. En avril 2020, le Conseil fédéral lançait un projet de Swiss Cloud dans le but, selon le communiqué officiel de la Confédération, «d’améliorer la souveraineté de la Suisse en matière de données et réduire la dépendance de notre pays par rapport aux prestataires internationaux de services». Un an plus tard, le 24 juin 2021, il attribue le marché d’un Public Cloud de la Confédération à quatre prestataires américains et un chinois. Aucun acteur suisse. Exit le Swiss Cloud. Comprenne qui pourra.

En un peu plus d’une année, le Conseil fédéral a radicalement changé de stratégie, et renonce purement et simplement à tout espoir de souveraineté numérique. Sans communication. Ou presque: en décembre 2020, il communique pour dire que, oui oui, un Swiss Cloud peut être utile, mais ce n’est pas le rôle de l’Etat. Donc il bâche. Et lance un appel d’offres pour un marché de quelques 110 millions pour un cloud public suisse. Appel d’offres emporté par Amazon, IBM, Oracle, Microsoft, et… Alibaba. La procédure est bloquée, par un recours de… Google. Ça ne s’invente pas. Une mobilisation helvétique s’imposait. Une campagne et une initiative populaire, donc.

D’abord on attribue le marché, puis on analyse les risques

Aucun suisse n’a postulé. Et pour cause: l’appel d’offres était taillé pour des multinationales. Avec des conditions comme des serveurs sur trois continents différents. La logique libérale de l’appel d’offres est simple: l’administration veut le meilleur rapport qualité prix, sans la moindre réflexion politique. Que l’entreprise soit soumise au Cloud act américain, ou qu’elle soit dirigée par le parti communiste chinois ne rentre pas en considération.

Lundi dernier, la Conseillère nationale Isabelle Moret (PLR) interpellait le Conseil fédéral sur le risque de confier le cloud de la Confédération à ces géants étrangers. Réponse du Conseil fédéral: «Une analyse de risque spécifique doit être effectuée». Ah bon, mais… ne fait-on pas ce genre d’analyse avant d’attribuer un marché aussi stratégique? Réponse du Conseil fédéral ce lundi après-midi 27 septembre devant le Conseil national.

Une question de sécurité nationale

Un groupe de citoyens, d’entrepreneurs et de chercheurs s’est constitué pour sensibiliser le monde politiques aux enjeux, A Swiss Cloud for Swiss Sovereignty. Sans nous arrêter sur les approximations et contradictions de l’administration, quel est cet enjeu?

Un cloud souverain est un outil précieux, voire central. D’une part, garantir la sécurité des données des citoyens, mais aussi des entreprises ou organisations humanitares qui le souhaitent, représente un positionnement extrêmement intéressant pour la Suisse, forte de sa tradition de neutralité et de respect de la sphère privée. Un coffre-fort numérique, très attractif au niveau international.

Mais surtout, garantir l’inviolabilité et la souveraineté des données de la Confédération relève d’une question de sécurité nationale. Nous ne pouvons donc pas considérer cet appel d’offres comme un appel classique. Nous demandons donc que le Conseil fédéral reprenne l’ensemble du projet dans une perspective de sécurité nationale, et qu’il fédère les acteurs suisses du secteur. Nous demandons qu’il crée un consortium confié à des acteurs suisses, publics ou privés, reposant sur une infrastructure soumise au droit suisse.

Une initiative populaire pour la souveraineté numérique suisse

En parallèle, nous lançons une initiative populaire afin de faire inscrire dans la constitution la notion de souveraineté numérique. Confier à l’Etat la mission de créer une infrastructure numérique au même titre que les infratrastructures routières ou ferrovaires des XIXe et XXe siècle. Les infrastructures du XXIe siècle sont numériques. Le projet de texte est en ligne, sur notre site. Il met l’accent sur deux points: une modernisation de la Constitution en ajoutant les notions d’intégrité et de souveraineté numérique. Et en créant un nouvel article dédié aux infratructures numériques.

Le Conseil fédéral doit reprendre le dossier à zéro. Commencer par consulter les acteurs suisses du secteur, avant de sonder la population. Comme il ne le fait, nous le faisons pour lui. Puisqu’il a semblé considérer, pendant quelques mois, que c’était un thème important pour notre souveraineté…