Pour moi, ChatGPT est la première vraie révolution depuis l'iPhone

Fabrice Delaye

Je dois avouer ma fascination pour ChatGPT, une intelligence artificielle à qui l'on peut, par exemple, demander d'écrire des articles. Mais attendez avant de cesser de lire Heidi.news! Car il y a quelques problèmes: des biais, des pièges et une totale opacité sur les sources de l'algorithme. Reste qu'en 30 ans de journalisme sur l'innovation et les technologies, c'est mon troisième «Waouh», après le Web et l'iPhone.

Vous faites peut-être partie des gens qui, depuis quelques jours, se sont amusés à discuter avec l’intelligence artificielle qui fait fureur: ChatGPT (sinon, je vous conseille d’essayer!). Depuis le 30 novembre, l’actualité du numérique est dominée par ce logiciel de conversation dévoilé par OpenAI. Il a conquis un million d’utilisateurs en cinq jours, là où Facebook avait mis dix mois pour s’imposer, Spotify cinq, et Instagram deux et demi… Les commentaires des utilisateurs sont plus ou moins critiques. Mais ce qui domine c’est: «Waouh!»

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Forcément, cela interroge. Dans la technologie, le marketing use et abuse de cet effet «Waouh» enseigné dans les cours pour start-upers. A titre personnel, j’en ai toutefois une expérience frugale: trois «Waouh» en 30 ans. Je ne me suis pas emballé pour la réalité virtuelle, les objets connectés ou le métavers, constamment immatures. Mais ChatGPT fait partie des trois. Parce que comme pour les deux précédents je crois, très immodestement, qu’il marque un tournant.

Mes trois Waouh

Mon premier «Waouh» c’était en juillet 1994 au Cern, à Genève, avec les inventeurs du World Wide Web. Je n’avais rien compris à leurs explications sur HTML et HTTP, mais j’ai découvert le web sur leurs écrans. Et au travers de ceux-ci, la diffusion des images prises par le télescope Hubble de l’écrasement d’une comète sur Jupiter. Waouh!

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La seconde fois, c’était à Harvard en 2008. Je cherchais le bâtiment où devait s’exprimer la conseillère fédérale suisse Micheline Calmy-Rey et je m’étais perdu. J’avais fini par demander mon chemin. Pour me guider, mon interlocuteur avait alors sorti un étrange téléphone de sa poche et élargi un plan avec ses doigts. Le premier iPhone était commercialisé aux Etats-Unis depuis l’été 2007. J’en avais acheté un la semaine suivante.

La troisième fois, c’est donc avec ChatGPT et quelques autres applications similaires. Le tournant a commencé cet été avec Dall-E et MidJourney, qui génèrent des images à partir d’un simple texte. La première fonctionne aussi avec les algorithmes d’OpenAI. La seconde est alimentée par une IA concurrente, Stable Diffusion, et connaît ces derniers jours un énorme succès avec Lensa, une app qui transforme vos selfies en avatars.

L’importance de la simplicité

Ces programmes soulignent des progrès de l’intelligence artificielle déjà perceptibles avec la capacité de DeepMind (qui avait battu les champions de go en 2015) de prédire la forme des protéines, de corriger des codes informatiques ou d’écrire des scénarios. Impressionnant pour les spécialistes, mais pas de quoi éveiller l’intérêt du grand public. A l’inverse, ChatGPT s’est rapidement hissé en tête des hashtags et des captures d’écran les plus partagés sur les réseaux sociaux.

Là, les débats oscillent entre la ferveur des convertis, qui prédisent le remplacement progressif de tous les métiers créatifs par des algorithmes, et les critiques, souvent académiques, qui pointent (à juste titre) les imperfections et les risques de cet outil. Pour ma part, je me souviens de la fameuse citation d’Arthur C. Clarke: «toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie». C’est ce que j’ai ressenti en découvrant le Web, le smartphone et donc ChatGPT la semaine dernière. Pourquoi cette impression toute personnelle?

Ce qui fait qu’une technologie décolle, c’est l’expérience utilisateur et, in fine, la qualité de l’interface entre l’humain et la machine. Internet et même le web existait depuis des années jusqu’à ce que les navigateurs permettent à tout le monde de surfer. C’est l’écran tactile qui a permis à internet de devenir mobile et, avant, la souris de Logitech et les icônes du Mac qui avaient inauguré l’ère des ordinateurs personnels. On retrouve cette simplicité d’utilisation à la Steve Job avec ChatGPT. Il n’y a pas de manuel, c’est intuitif. Cela en fait probablement la première IA grand public.

«Et vous savez mentir?»

Précisons que ce ressenti ne dit rien de l’avenir du produit précis qui amène une technologie à maturité. Windows a repris le fonctionnement des Mac et a pu dominer le marché. Le premier navigateur Netscape a été remplacé par des concurrents. L’idée d’accéder à internet sur un téléphone était dans l’air des années avant l’iPhone. Les robots conversationnels existent aussi depuis longtemps et certains, comme Jasper, semblaient être arrivé à maturité depuis quelques mois.

Une fois l’effet «Waouh» passé, reste à s’interroger sur les problèmes que génère aussi cette technologie. Trois dominent:

  • la capacité de ChatGPT (et de ses alter ego graphiques, musicaux, vidéos) de concurrencer la production humaine de contenus,

  • sa capacité à mentir ou à se tromper avec aplomb (par erreur ou à cause de la malveillance de ses utilisateurs),

  • l’origine des données qu’il utilise et désormais collecte pour améliorer ses modèles.

Vous pensez que je dis cela parce que je suis journaliste? Sur le premier point, je partage l’idée exposée récemment dans nos colonnes par le designer Etienne Mineur: les contenus générés par ChatGPT en font avant tout une machine à inspiration (ou à plagiat dans le pire des cas).

Les erreurs dans les réponses du programme, de même que la capacité à les détourner pour produire d’éloquents mensonges, sont plus problématiques. Si vous avez «aimé» les polémiques sur les bulles de filtre et les fake news, préparez-vous à les voir se démultiplier: nous lui avons demandé d’écrire un article sur la victoire de Donald Trump à la présidentielle américaine de 2020, il l’a fait sans sourciller, parlant même de «victoire écrasante».

Véritable révolution

La question des données est épineuse. Les spécialistes mettent en avant l’opacité avec laquelle ont été entraînés les algorithmes de ChatGPT. Un manque de transparence d’autant plus dommageable au vu des  biais (raciste, sexiste…) que l’IA reproduit déjà, malgré les tentatives d’OpenAI pour la censurer manuellement. A l’usage, ChatGPT paraît très politiquement correct. Mais ses filtres peuvent être contournés. De plus, son modèle d’affaires repose sur un siphonnage des données justifié par ses concepteurs pour l’améliorer et assurer par sa gratuité.

Ces problèmes freineront-ils l’adoption d’assistants à la création comme ChatGPT? Y aura-t-il un effet «buzz» suivi d’un effet «bof», qui fera retomber l’intérêt? Je ne le crois pas. Mon sentiment est qu’il s’agit là d’une véritable révolution, pour le meilleur et pour le pire. Bien sûr, ce n’est que mon point de vue. Car ce n’est pas ChatGPT qui a écrit ce que vous venez de lire!