Michel Huissoud: «La Suisse est-elle capable d'apprendre?»

La Confédération peut-elle évoluer avec son temps? Pour Michel Huissoud, ex-directeur du Contrôle fédéral des finances et fin connaisseur des rouages politiques, la réponse est claire: non. En l'état de nos institutions, le fédéralisme bloque toute innovation.

Michel Huissoud / Courtoisie

En cas d’accident ou d’attaque nucléaire, que se passerait-il en Suisse? Chacun irait se réfugier dans son abri, en attendant des jours meilleurs? Eh bien non.

Pour une raison simple: le Conseil fédéral n’a pas le droit d’obliger les communes à informer leurs citoyens de l'endroit où se trouve l'abri le plus proche. Il n'a pas la compétence nécessaire pour le faire. C’est ce qui ressort d’une réponse du Conseil fédéral à une motion de la PLR Doris Fiala. On accepte ainsi que des places d’abri manquent en cas d'urgence.

Le problème du manque de compétences fédérales, tel qu’il ressort de la Constitution, est loin de concerner ce seul domaine. Les problèmes sont, de fait, innombrables.

L’approvisionnement en médicaments, par exemple. Début 2022, l'Office fédéral de la santé publique écrivait à propos des pénuries: la situation est grave, mais la marge de manœuvre de la Confédération est limitée. En effet, ce sont les cantons qui sont compétents au niveau étatique.

Comme au 19e siècle

La débâcle du dossier électronique du patient (DEP) a finalement la même cause. En août 2021, le Conseil fédéral l'avait déclaré ouvertement dans un rapport:

«La structure fédéraliste du système de santé et les différents acteurs impliqués compliquent l'introduction du DPE. Conçue comme une loi-cadre, la loi n’attribue à la Confédération que quelques tâches, faute de compétence fédérale.»

Selon lui, cela a rendu difficile un pilotage central. La marge de manœuvre de la Confédération est limitée par la Constitution. Elle n'a «que des possibilités limitées de mettre les acteurs face à leurs responsabilités».

A vrai dire, tout se passe comme à la fin du 19e siècle, quand la Suisse n’avait que des compagnies de chemins de fer trop petites pour être viables. Tous les 40 kilomètres environ, les usagers devaient descendre de leur train pour prendre le suivant.

Que s’est-il passé ensuite? Ces micro-compagnies ont fait faillite les unes après les autres, et les CFF ont été créés. En 1898. C’est-à-dire un demi-siècle après la création de la première ligne de chemin de fer du pays…

Quand Berne dirige à tâtons

La crise du Covid a jeté une lumière crue sur ce problème. Pendant deux ans, nous avons manqué d’informations sur les masques, les respirateurs, les diagnostics, le taux d'occupation des unités de soins intensifs... Les données manquaient ou n'étaient pas centralisées, de sorte qu'il était impossible d’avoir une vision claire à l’échelle de la Suisse. Parfois, ces données n'étaient pas transmises du tout. Parfois même, c’était volontaire.

La pierre d'achoppement ici encore, c’est la répartition des compétences telle que prévue par la Constitution fédérale. Ce sont les cantons qui décident si un modèle de données national ou un concept d'interface est nécessaire. Ils ne sont même pas obligés de collaborer avec la Confédération.

Jusqu'à ce que la crise survienne et que le droit d'urgence s'applique. A ce moment, la Confédération peut agir. Avec plusieurs mois de retard.

Le fédéralisme doit se moderniser

Les informations qui manquent à Berne ne peuvent pas être obtenues d'un coup de baguette magique. Il y a fort à parier que lors de la prochaine crise à laquelle nous devrons faire face, les décideurs se retrouver de nouveau à piloter dans le noir.

Guy Parmelin, alors président de la Confédération, l’a dit fin 2021, dans une interview à propos de la pandémie:

«Le fédéralisme est l'une des nombreuses forces de notre pays. Bien sûr, il est parfois lourd et compliqué. Surtout en période de crise.»

Le fédéralisme est dans l’ADN de la Suisse. Il ne s’agit pas de s’en débarrasser. Mais il doit être entretenu activement et la Constitution fédérale doit être adaptée en ce sens.

Le 12 septembre 2023, en pleine période électorale, il sera tentant pour la politique de célébrer avec pompe le 175e anniversaire de l'Etat fédéral, tout en cachant soigneusement les problèmes sous le tapis.

Dommage, le temps passe et les solutions concrètes ne sont toujours pas en vue.

Un mot sur notre chroniqueur

Juriste de formation, expert en audit, «shérif» pour les médias, Michel Huissoud a été chargé de la surveillance de l’administration fédérale durant plus de trente ans. Il est aujourd’hui chroniqueur pour le magazine alémanique Beobachter et pour Heidi.news.

Exaspéré par les blocages de la politique suisse, il a lancé en compagnie de Daniel Graf, militant et fondateur de la plateforme We Collect, le projet «Update Schweiz». Objectif: mettre en œuvre une révision totale de la Constitution fédérale.