En lutte contre l'opacité de Google: le dur métier de consultant en référencement à l'heure de l'IA

Image d'illustration. | Keystone via AP Photo / Jeff Chiu, File

Ils lisent dans la boule de cristal de Google pour optimiser le référencement de sites web. Une tâche rendue ardue par l'opacité des algorithmes — et autant dire que l'IA n'arrrange pas les choses. Rencontre avec un métier méconnu.

Naviguer à vue, c’est peut-être ce qui définit le mieux le métier de spécialiste en référencement naturel, ou SEO. Comment faire en sorte de plaire à l’algorithme du moteur de recherche de Google pour maximiser le référencement d’un site web, alors même que ses rouages ne sont pas visibles?

Trois spécialistes partagent leurs expériences avec la machine, alors que le métier pourrait être bouleversé par l’arrivée de Bard, l’intelligence artificielle générative de Google, concurrente de ChatGPT.

De quoi on parle. Les spécialistes en SEO proposent des services d’optimisation pour les moteurs de recherche (SEO est la contraction de search engine optimization). Il s’agit dans les faits d’améliorer le référencement naturel d’un site web, de manière à le faire figurer le plus haut possible dans les résultats de recherche liés à un ou plusieurs mots-clés.

  • Aujourd’hui, le SEO est souvent associé à Google, dans la mesure où son moteur de recherche domine largement le secteur, avec près de 94% de parts de marché dans le monde.

  • En 25 ans d’existence, l’entreprise californienne a beaucoup évolué, et son moteur de recherche aussi. Google ne se contente pas seulement d’indexer les pages web, il propose aussi de les classer selon leur pertinence.

Il existerait ainsi plus de 200 critères pris en compte par le moteur de recherche de Google pour trier les contenus. Sonder les états d’âme et les micro-évolutions de «l’algorithme Google» est devenu un métier, tant l’enjeu est fort pour beaucoup d’entreprises.

Beaucoup de candidats, peu d’élus. La première page des résultats affiche par défaut dix liens, en plus des modules comme les contenus sponsorisés, la Google Business Map et les questions fréquentes associées à la recherche.

Or, cette première page est stratégique: l’écrasante majorité des internautes s’en tiendra là. Un gag récurrent dit d’ailleurs que le meilleur moyen de cacher un cadavre, c’est la deuxième page de Google. Certaines études affirment même que la première position est dix fois plus susceptible d’attirer du trafic que la dixième.

Apparaître le plus haut possible dans les résultats de recherche a donc une importance vitale pour certaines entreprises, dont le chiffre d’affaires peut être largement influencé par ce positionnement, comme le soulignent les spécialistes contactés.

Dompter l’algorithme. En deux décennies, les évolutions de l’algorithme ont été importantes. Pour Dimitri Kas, formateur SEO, qui travaille dans le domaine depuis une dizaine d’années, ces changements ne sont toutefois jamais des «révolutions». «L’objectif de Google reste sensiblement le même: améliorer la qualité des résultats affichés lors des recherches», observe-t-il.

Mais comment apprivoiser cet algorithme, quand Google se garde bien d’en dévoiler la recette? «Google communique sur les éléments qui sont affectés par les mises à jour de l’algorithme, précise Dimitri Kas. En revanche, il n’explique pas les détails exacts de ces modifications. La seule solution, c’est de tester.»

Mélanie Buffe, formatrice et spécialiste SEO pour Suisseo, abonde: «Ce serait bien entendu génial que Google explique précisément comment être bien référencé. Mais dans la pratique, c’est l’expérience qui permet de le déterminer». Karim Bellazrak, responsable du SEO chez Flash Design, une agence vaudoise de référencement, ajoute qu’il faut aussi rester à l’affut des retours d’autres spécialistes, pour comprendre ce qui fonctionne en ce moment et si possible pourquoi.

Pour dompter l’algorithme, il faut aussi garder un œil sur les performances des sites web en permanence. Lorsqu’une page descend dans le classement, il faut adapter l’optimisation. «Quand quelque chose ne fonctionne plus, on ne peut malheureusement pas contacter Google pour avoir une explication», rappelle Mélanie Buffe.

Des situations inexplicables. Même si c’est rare, il arrive parfois que des pages qui étaient auparavant très bien référencées ne le soient soudainement plus. Dimitri Kas se souvient d’un problème pour lequel il n’a jamais trouvé d’explication. En 2022, une page de son blog qui était jusqu’ici bien positionnée a tout simplement disparu des résultats de recherche.

«J’ai attendu une dizaine de jours, pour voir s’il s’agissait d’un souci du côté de Google, explique le formateur SEO. Constatant que la page ne réapparaissait pas, j’ai fini par reprendre le même contenu avec une nouvelle URL (adresse de la page, ndlr.). Depuis, Google a réindexé la page et son positionnement n’a plus bougé. A ce jour, je n’ai jamais identifié la cause.»

Karim Bellazrak a vécu une expérience similaire. «Un changement au niveau de la balise des langues a réduit à néant le positionnement du site d’un client pour les versions anglaises, allemandes et espagnoles sur différents mots-clés», explique-t-il. Au point de tout refaire. «Je n’ai jamais fait un aussi bon travail, mais je n’ai absolument obtenu aucun résultat pendant six mois, et je n’ai même pas de théorie sur la cause de ces difficultés.»

Toujours plus difficile de tricher. Avec l’expérience, Google a aussi modifié son algorithme de manière à rendre les abus plus difficiles. Parmi les critères qui contribuent à la crédibilité d’une page web, Google prend notamment en compte le nombre de liens pointant vers des contenus extérieurs. De véritables «fermes à liens» se sont développées, en particulier dans les pays asiatiques, permettant d’acquérir de la «réputation» contre de l’argent.

En 2012, une mise à jour de l’algorithme, intitulée Penguin, a profondément bouleversé cet écosystème. «Mais il ne faut pas se leurrer, nuance Dimitri Kas. Si Google a réussi à réduire le phénomène, il n’est pas en mesure de l’enrayer complètement. L’algorithme n’a pas la capacité de vérifier si un lien a été acheté.»

L’humain trouve toujours des failles, et la vente de liens de redirection n’échappe pas à la règle. Karim Bellazrak fait encore appel à de tels services pour certains de ses clients: «Il faut simplement veiller à ce que ces liens figurent sur des sites qui ont un rapport avec le domaine d’activité du site web qu’on cherche à mieux référencer».

Un métier menacé par les IA génératives? Quid de l’avènement des agents conversationnels dans les moteurs de recherche, comme Microsoft l’a fait avec Bing et ChatGPT, ou encore l’annonce de Bard par Google? «Je ne suis pas inquiète, lance Mélanie Buffe. Je pense qu’il s’agit d’un outil supplémentaire, qui ne va pas réduire l’importance de notre métier, au contraire.»

Un sentiment partagé par Dimitri Kas:

«Je demande à voir comment Google pourrait intégrer Bard dans son moteur de recherche. Son modèle économique repose principalement sur les clics effectués sur les annonces. J’ai la conviction que notre métier sera toujours indispensable pour améliorer le référencement des pages, y compris avec cette nouvelle fonctionnalité.»

En définitive, travailler avec un algorithme ne s’avère pas si compliqué aux yeux des trois spécialistes, quand bien même les secrets de la machine restent hors de portée. Le véritable défi pour ces professionnels, c’est d’arriver à convaincre que leur service a un réel impact.

Mélanie Buffe s’en explique: «On peut garantir des ressources et des moyens, mais dans ce domaine, pour peu que l’on soit honnête, on ne peut jamais garantir de résultats.»

Dimitri Kas est du même avis:

«Faire de l’optimisation est souvent plus coûteux que de passer par Google Ads. Avec l’expérience, j’ai compris que je ne pouvais vendre mes services qu’à des personnes convaincues par le fait que le SEO va leur apporter quelque chose dans leur activité.»