De fait, je viens de publier un article sur le sujet, lassé de voir des collègues traîner leur rhume à la rédaction (ils l’apprendront en lisant ces lignes). Leur justification coutumière: «J’ai fait le test, c’est pas le Covid, j’ai juste attrapé froid.» Tout l’article est construit pour démonter ce raisonnement fallacieux.
En substance:
Les autotests Covid sont très employés en Suisse.
Ces tests sont fiables quand ils sont positifs, mais pas du tout quand ils sont négatifs.
Avec le variant Omicron, c’est encore pire.
Donc n’allez pas voir votre grand-mère avec le nez qui coule.
On ne peut pas juste «attraper froid», n’écoutez pas votre grand-mère.
Et pour que les présentations soient complètes: ChatGPT est une une IA conversationnelle entraînée par l’entreprise américaine OpenAI, considérée comme à la pointe du domaine. Moi-même, un journaliste scientifique entraîné par l’université française, considérée comme… Bref.
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D’emblée, une déception: ChatGPT, qui n’a pas de grand-mère, n’est pas tombé dans le panneau du test parfait ou du coup de froid magique. Sommé d’écrire un article de 5000 mots (c’est long, un peu comme les miens) sur la fiabilité des autotests, il s’exécute en deux minutes, avec brio. Extrait:
«Les autotests antigéniques pour détecter une infection au Covid-19 ont été largement utilisés dans de nombreux pays à travers le monde au cours de la pandémie. Bien que ces tests soient considérés comme une option pratique et rapide pour évaluer l'état de santé d'une personne, il existe des doutes quant à leur fiabilité.
Les autotests antigéniques détectent la présence de protéines spécifiques du virus SARS-CoV-2 dans les échantillons prélevés par les utilisateurs eux-mêmes, généralement à partir de l'écouvillon nasal ou de la salive. Ces tests sont généralement considérés comme moins précis que les tests PCR, qui sont réalisés par des professionnels de la santé dans des laboratoires spécialisés, mais ils ont l'avantage d'être faciles à utiliser et de fournir des résultats rapides.
Cependant, selon plusieurs études, les autotests antigéniques peuvent ne pas détecter une infection au Covid-19 dans environ 50% des cas. Cela signifie que, même si un test est négatif, il y a encore une chance que la personne testée soit infectée par le virus.»
Premier choc: l’IA est vraiment dans le sujet. Deuxième choc: elle a parfaitement «compris» les instructions. Troisième: elle a été capable d’éviter les sources complotistes qui vous jurent que le virus n’a jamais été isolé ou qu’on peut mourir d’un frottis nasopharyngé…
Cela va plus loin! Elle se paie même le luxe d’avancer un chiffre clé: une sensibilité de 50%. Autrement dit, une chance sur deux d’obtenir un faux négatif chez une personne infectée. C’est le bon ordre de grandeur, bien joué. Je la soupçonne d’avoir trouvé ça dans une revue Cochrane, source fourre-tout mais très solide.
On pourrait mégoter. Allons-y: ce chiffre n’a pas grand sens en Suisse, parce que les autotests ont été validés avec une barre assez haute (85%), dès leur introduction fin 2020. Et puis la littérature est si «sale», que mieux vaut donner une fourchette. Mais cela reste impressionnant.
Poussons un peu.
ChatGPT, est-ce que la sensibilité des autotests antigéniques diffère selon les principaux variants de Sars-CoV-2?
«Selon des études récentes, certains des principaux variants du virus SARS-CoV-2, notamment ceux appelés B.1.1.7 (Alpha, ndlr.), B.1.351 (Bêta) et P.1, peuvent être moins détectables par les tests de détection, y compris les autotests antigéniques. Cela signifie que ces tests peuvent être moins sensibles pour détecter ces variants du virus, ce qui peut entraîner des résultats faux négatifs.
Toutefois, il est important de noter que ces résultats sont encore incertains et que la recherche sur l'impact des variants du virus sur la sensibilité des tests de détection est en cours.»
Permettez-moi d’être esbaudi. Non seulement la réponse est tout à fait correcte, mais elle est calibrée avec la prudence nécessaire – l’IA ayant été entraînée sur un corpus de textes datant de fin 2021, sa réponse correspond à peu près à l’état de l’art de l’époque.
Encore plus fascinant: finaud, ChatGPT prend la précaution de préciser explicitement le niveau de fiabilité de ses affirmations. Un réflexe de journaliste scientifique, pas si fréquent même chez certains confrères. Pour l’instant, c’est 6 sur 6 — ou 20 sur 20 pour mes lecteurs français.
Evidemment, Omicron ne peut pas être dans les radars de l’IA, puisque il est apparu sous nos latitudes après 2021. Il faudra donc attendre une mise à jour du modèle pour qu’elle prenne connaissance de ce nouveau variant. Petit bémol pour ma Némésis de silicone: futée, mais un train de retard.
Passons à la question qui tue.
J'ai de la toux et le nez qui coule, je viens de faire un autotest antigénique Covid-19 et le résultat est négatif. Puis-je aller voir ma grand-mère?
«Il est recommandé de ne pas visiter des personnes vulnérables, telles que des personnes âgées ou des personnes ayant des problèmes de santé préexistants, si vous avez des symptômes respiratoires tels que de la toux et un nez qui coule. Même si vous avez fait un autotest antigénique Covid-19 et que le résultat est négatif, il y a toujours une chance que vous soyez infecté par le virus SARS-CoV-2.»
Qu’ajouter de plus? C’est le cœur de la conclusion de mon article de simple mortel. La formulation est aussi fun qu’une recommandation de l’OFSP, mais en matière de clarté et de message à usage du grand public, on est dans le mille. Autrement dit, ChatGPT passe les qualifications haut la main.
Avant de brûler ma carte de presse
Un dernier mot. On l’a appris dans la douleur (Qatar 2022): rien ne sert de passer les qualif’ pour s’effondrer en huitième de finale. Si le moteur conversationnel est renversant au premier abord, il n’en demeure pas moins très limité sur le fond. Ma conviction: ce n’est pas demain la veille qu’il fera un travail de journaliste.
Plusieurs raisons à cela:
Aucune des informations délivrées n’est sourcée, expliquée, mise en contexte, commentée. ChatGPT n’offre aucune garantie. Or, toute la valeur d’un bon article de vulgarisation scientifique — puisque c’est ce dont il s’agit — repose sur cette chaîne de confiance: des experts au journaliste, du journaliste au lecteur. Sans cela, l’édifice s’effondre.
Tout aussi embêtant: la prose est claire, mais ennuyeuse comme un crachin d’automne. J’ai testé pour vous l’humour de ChatGPT: il n’en a aucun. (A sa décharge, il l’admet volontiers.) Le sens du style ou de la formule, pas mieux. L’art du titre, celui de l’angle: rien du tout. Autrement dit, on s’ennuie sec.
Enfin, tant qu’OpenAI n’aura pas couplé son moteur conversationnel à un assistant personnel, ChatGPT est bien sûr incapable de solliciter spontanément des êtres humains. Tout cela le condamne à écrire des articles sur source froide: plutôt documentaliste que plumitif.
Pour illustrer cela, je vous laisse avec la dernière question.
Est-ce qu’on peut «attraper froid»? Extrait de la réponse:
«Contrairement à ce que beaucoup de gens croient, le froid en lui-même ne cause pas les rhumes et les grippes. Ces infections sont causées par des virus qui se propagent facilement d'une personne à l'autre.»
Et voici la réplique du directeur de l’Institut de microbiologie du CHUV, une vraie personne en blouse et en os, que j’ai interrogé dans les mêmes termes (qu’il me pardonne):
«On ne tombe pas malade juste par la force du Saint-Esprit, il faut quand même une infection, s’amuse Gilbert Greub. On peut être colonisé avec des germes et le froid fait qu’on devient symptomatique.»
Chacun son style, chacun son métier. Sans rancune, ChatGPT, mais reviens dans quelques années!
La version complète des échanges avec ChatGPT est disponible en ligne, de même bien sûr que l’article écrit de main de journaliste.