«Poutine est psychorigide et jusqu’au-boutiste, il va aller jusqu’au bout de sa logique», édicte l’ex-diplomate, auteur en 2015 d’une biographie sur l’homme fort du Kremlin. Dans son nouveau livre, sorti début mars, il liste des «clés psychologiques» destinées à pénétrer l’esprit du personnage: enfant de la rue, judoka, espion, tsar des temps modernes, «déçu de l’Occident»…
A bien y réfléchir d’ailleurs, l’ambiance au sein des élites russes a changé depuis la grande époque:
«Pendant la Guerre froide, il y avait une distinction entre la propagande et la politique: les gens mentaient mais ils n’y croyaient pas. Quand on s’est rencontrés avec Kissinger à Genève, on a travaillé sérieusement. Maintenant il y a un mélange des genres: les gens mentent et croient leurs mensonges.»
Trois solutions, deux mauvaises. «Nous avons trois solutions», poursuit l’écrivain à propos de la crise en Ukraine. D’abord, le spectre d’une «guerre nucléaire», qu’il estime alimenté par des Américains jouant l’enlisement – façon campagne soviétique en Afghanistan – au risque de l’escalade. Quant à la posture nucléaire russe, elle se voudrait surtout réactive:
«Quand Biden a dit "j’ai le choix entre appuyer sur le bouton ou prendre des sanctions drastiques", les forces nucléaires russes ont été mises en alerte quinze minutes plus tard (dix minutes, à en croire son livre, ndlr.). Cela montre à quel point nous vivons dans l’approximation.»
Une posture certes défensive, mais qui porte en germe une volonté implacable, poursuit celui qui affirme «vendre le mythe russe mieux que quiconque»:
«Il y a quelques jours, [Poutine] a dit: le monde sans la Russie ne m’intéresse pas. Vous voulez mettre au dos du mur quelqu’un qui vous a prévenu comme ça? Et dans plusieurs domaines, surtout stratégique, il a plusieurs années d’avance sur les Etats-Unis. Il peut anéantir le monde plusieurs fois.»
Pas de dissuasion ni de bruits de botte, donc, face au Kremlin. Quid des sanctions économiques décidées par les pays de l’Otan? Elles ne trouvent pas non plus grâce aux yeux de l’écrivain. «Le dindon de la farce c’est l’Europe, c’est évident que ça va coûter cher», balaie-t-il, anecdote à l’appui:
«Je pense que les répercussions des sanctions sur l’Europe seront éminemment dramatiques. J’ai pris le taxi pour venir et les Champs-Elysées étaient vides. Mes amis philosophes de Saint-Germain disent qu’on pourra vivre à 13 °C et se passer de gaz, je veux bien les croire, mais mon chauffeur de taxi a gueulé pendant tout le voyage.»
Les entreprises restées sur place se voient quant à elles prophétisées un avenir riant. «J’ai parlé récemment avec des gens de chez Auchan, et j’étais étonné des perspectives sur place, parce qu’ils sont restés», mentionne-t-il en passant. De l’autre côté, la résilience russe devrait faire l’affaire, le temps de se jeter dans les bras de Pékin:
«Sous Eltsine les Russes ont vécu dix fois moins bien que chez Poutine – pas grâce à Poutine, mais du fait de la baraka du pétrole devenu plus cher. Ils vont perdre en pouvoir d’achat, les économistes disent 30%, moi je pense un peu plus, mais par rapport à la période précédente, évidemment ils vont survivre.»
Poutine, jusqu’au-boutiste mais raisonnable. Seule option viable, martèle Fédorovski: une «sortie de crise négociée» avec Poutine, aux conditions du Kremlin pour l’essentiel, afin de figer le conflit en attendant de meilleurs jours. Et d’éviter «50'000 morts» dans le Donbass:
«La seule solution est celle prônée par le président français. Il a téléphoné dix-huit fois à Poutine, encore aujourd’hui d’après mes sources, pour trouver une solution. Contrairement à ce que disent les Américains, la base existe. Zelensky n’est pas juste un acteur mais un homme d’Etat: il a proposé un statut neutre de l’Ukraine. Poutine a dit "je ne veux pas jouer le jeu des Américains et refaire l’Afghanistan". Il faut utiliser ça.»
Ce n’est pas tout. Une garantie de sécurité internationale serait un «très grand atout» pour l’Ukraine, affirme-t-il, évoquant «une sécurité totale». Quant aux autres points de divergence entre Kiev et Moscou, à savoir la souveraineté de la Crimée, le sort du Donbass, ils seront à peine mentionnés.
«Pas de solution.» Dans l’assistance, un homme se lève et interpelle l’ex-diplomate: «Moi je suis venu ici pour entendre la réponse à ça: qu’est-ce que l’on peut faire?»
«C’est une question que je me pose tous les jours», répond Fédorovski. «Mais moi je veux la réponse!», rétorque l’homme, emportant les rires de l’assistance.
Il en sera quitte pour des digressions sur les cafés de Saint-Germain et de nouvelles critiques à l’endroit des politiques américaine et européenne, un parallèle avec la crise des missiles de Cuba, une exhortation à financer un «plan Marshall» ukrainien.
Mais de réponse sur la sortie de guerre, point. Si ce n’est cet éclair:
«Je trouve qu’il n’y a pas de solution et je prends beaucoup de risque à expliquer ça aux uns et aux autres publiquement, parce que ce n’est pas du tout politiquement correct.»
Et ces derniers mots: «Vous pouvez toujours diaboliser les écrivains, ça fait toujours vendre.»