Transition énergétique: faut-il mettre les montagnes sous clé?

Sarah Sermondadaz

Si vous parlez de la Suisse à l’étranger, il y a des chances qu’on vous félicite sur la beauté de ses paysages, entre lacs et montagnes. De fait, les montagnes sont une fierté nationale, une des plus belles vitrines de la Confédération. Elles sont aussi une ressource précieuse qui approvisionne, par la fonte des glaciers, le pays en eau douce et en hydroélectricité, tout en irriguant de précieuses activités touristiques de montagne. Moins urbanisées que les vallées, les montagnes n’en ont pas moins été, elles aussi, sculptées par nos usages.

Mais l’âge d’or des remontées mécaniques a vécu: la raréfaction de la neige pousse les stations à se réinventer, et sur fond de crise climatique, c’est désormais un black-out électrique qui menace la Suisse l’hiver prochain, faute de pouvoir continuer à s’appuyer sur les importations de gaz russe et d’électricité européenne. La faute en revient pour partie au contexte géopolitique mais, au fond, c’est bien l’impréparation du pays qui est en cause. Il aurait fallu investir bien plus massivement et bien plus tôt dans les énergies renouvelables, en particulier le photovoltaïque.

Pour rattraper ce retard, les projets solaires fleurissent aujourd’hui jusque dans les alpages, où ils font déjà grincer des dents. Comme celles de l’association de protection du paysage Mountain Wilderness, qui organise ce week-end, dans le cadre de l’événement «Feu dans les Alpes», une randonnée en Valais sur les traces du projet Gondosolar. Projet qui doit accoucher de la plus grande ferme solaire de Suisse, auquel Moutain Wilderness s’oppose frontalement. Le raisonnement: commençons par déployer les panneaux solaires en vallée et sur les toitures des bâtiments déjà construits avant de vouloir les installer en haute montagne.

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Résoudre l’équation énergétique suisse

Pourtant, aucune nouvelle ligne aérienne à haute tension ne sera construite pour Gondosolar, qui n’empiètera d’ailleurs sur aucune zone naturelle protégée. Mais il n'est ici pas tant question de biodiversité, un enjeu somme toute mesurable, que de paysage. Mais l'esthétique d'un paysage est un concept à géométrie variable: au nom de quoi défendrait-on tel paysage plutôt qu'un autre? Et pourquoi refuserait-on à des territoires l'indépendance énergétique, alors qu'on y a laissé se développer les sports d'hiver il y a quelques décennies?

Le photovoltaïque de montagne est une clé qui aiderait la Suisse à sortir de l’ornière. Car pour l’heure, l’équation énergétique du pays est intenable sans recours aux importations. Selon les perspectives énergétiques 2050+ de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN), la Suisse doit produire, d’ici 30 ans, plus de 30 TWh par an d’électricité photovoltaïque. Le défi est immense: en 2019, elle n’en a produit que 2,2 TWh…

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Ne pas se tromper de combat

Le photovoltaïque de montagne est en réalité complémentaire de celui de plus basse altitude, car il permet de s’affranchir de la couverture nuageuse en hiver, précisément la saison où guettent les pénuries d’électricité, quand la production par les barrages est au plus bas. Autrement dit, avec le solaire de montagne, on limite les besoins de stockage de l’électricité qui existent en plaine, puisqu’on s’affranchit en partie des conditions météorologiques.

Le potentiel de déploiement sur les toitures, s’il reste sous-exploité, n’est en outre pas illimité: l’EPFL a ainsi récemment ramené le potentiel photovoltaïque des toitures à 24 TWh, ce qui n’est pas suffisant pour atteindre la cible de l’OFEN. Rappelons aussi que la Suisse est une nation de locataires (60% des habitants), et que ce sont les propriétaires qui peuvent décider de l’installation de panneaux solaires…

Nous pensons avoir tout le temps du monde, avoir le luxe de choisir le moindre mal entre panneaux solaires installés en toitures, sur les autoroutes ou en altitude, rehaussement des barrages et sobriété énergétique. Alors qu’il faut les déployer toutes à la fois, et sans traîner... On s’oppose. On rejoue la valse hésitation du syndrome Nimby (Not In My Backyard, «pas chez moi»). Immobilisme tellement classique lorsqu’il est question des infrastructures renouvelables.

Mais aurons-nous encore longtemps le luxe de jouer les fines bouches? Nous pourrions le découvrir – à la dure – en cas de coupures l’hiver prochain.

Avec la participation de Fabrice Delaye