Taxe CO2: la Suisse a exempté des entreprises polluantes à hauteur de 3 milliards de francs

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La Confédération réduit la taxe sur le CO2 de certains grands émetteurs de carbone. Entre 2013 et 2020, le montant des exemptions s'élèverait à près de trois milliards de francs, d’après une enquête du site alémanique Das Lamm.

Polluez peu, et payez. Polluez beaucoup, et soyez exemptés. Ce pourrait être la devise de la Confédération, qui exonère de nombreux grands émetteurs de la taxe sur le CO2, d’après une enquête inédite du site d’information Das Lamm, spécialisé dans le développement durable.

D’après les calculs du média alémanique, le gouvernement suisse aurait exempté des entreprises fortement polluantes, comme le géant du béton Holcim, la Lonza ou encore la raffinerie de Collombey, de près de trois milliards de francs de taxe sur le CO2 entre 2013 et 2020, en leur accordant des droits d’émissions gratuites. Pendant ce temps, le reste du pays — population comprise — continue de payer le plein tarif.

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Pourquoi c’est important. En Suisse, quiconque émet du CO2 en brûlant des combustibles fossiles doit payer une taxe. Pourtant, les plus gros émetteurs en sont bien souvent exemptés. Pour ces entreprises, comme Holcim, Lonza, Roche ou encore l’aéroport de Zurich, il suffit de participer au système d’échange de quotas d’émission (SEQE). Contre un certificat, ils obtiennent un droit d’émission pour chaque tonne de CO2 émise. Entre 2013 et 2020, une cinquantaine d’entreprises suisses auraient participé au système SEQE.

Un système qui profite aux grands émetteurs. Das Lamm souligne que la plupart des entreprises privées participant au SEQE (de l’ordre de 90 à 95%) ont bénéficié de certificats gratuits, délivrés par le gouvernement, notamment pour préserver l’attractivité économique du pays. Lesquelles ne sont absolument pas incitées à limiter leurs émissions de CO2 — au contraire.

  • Entre 2013 et 2020, la Confédération aurait perdu trois milliards de francs de recettes publiques.

  • Pire: l’Etat aurait même accordé davantage de certificats que nécessaire au vu des émissions des entreprises. Si bien que ces sociétés ont pu gagner de l’argent en vendant ces certificats excédentaires. Les journalistes estiment cette valeur excédentaire à 361 millions de francs.

«Le prix du carbone était si faible pour ces compagnies que leurs émissions ont très peu baissé, de l’ordre de seulement 10% entre 2013 et 2020», souligne Alex Tiefenbacher, enquêtrice climat pour Das Lamm, contactée par Heidi.news.

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Ainsi, le géant du béton Holcim – plus gros émetteur de Suisse – aurait payé environ 1,8 million de francs pour ses émissions entre 2013 et 2020, d’après les calculs de Das Lamm. Si la multinationale était soumise aux mêmes règles que le reste de la population, elle aurait dû débourser 833 millions de francs. Pendant ce temps, les particuliers et la plupart des entreprises suisses paient une taxe de 120 francs par tonne de CO2 émise.

Une raffinerie de pétrole exemptée. Parmi la cinquantaine d’entreprises bénéficiant du système SEQE, on trouve des sociétés romandes. C’est le cas du groupe Varo Energy, qui opère la dernière raffinerie de pétrole en Suisse, à Cressier (NE), ainsi que le plus grand parc solaire du pays, dont l’électricité sera destinée à la production pétrolière. La société Varo aurait touché de nombreux certificats gratuits l’exemptant de la taxe sur le CO2, si bien qu’elle aurait déboursé 7,9 millions de francs au lieu de 226 millions, d’après les chiffres de Das Lamm.

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«Cela montre l’absurdité du système d'échange de quotas d'émission, dont l’objectif initial était de décarboner le secteur industriel», note Alex Tiefenbacher, pour qui il faudrait davantage de transparence dans le système de quotas d’émission:

«Ce système est essentiel pour réguler les entreprises et faire face à la crise climatique. Néanmoins, davantage de règles et de transparence sont nécessaires. Au lieu de subventionner les grands émetteurs, le SEQE pourrait servir à planifier une sortie des énergies fossiles.»

Un tarif minimum pour les émissions de CO2 permettrait d’éviter le problème, précise-t-elle.

Enquête à lire sur Das Lamm (allemand, accès libre)