La neige, grande absente. C’est du jamais vu. A la mi-février 2023, la surface enneigée du bassin versant du Rhône est passée sous le minimum absolu, qui datait de l’an dernier. En Suisse, certaines stations n’ont jamais connu un enneigement aussi faible depuis le début des enregistrements. C’est le cas du Col du Simplon (VS) ou encore de Saint-Moritz et du San Bernardino (GR).
A Zermatt, par exemple, le manteau neigeux a complètement disparu. Une situation normalement réservée à la fin-avril.
«L’enneigement a disparu avec un mois et demi d’avance», explique Lionel Fontannaz, prévisionniste chez MétéoSuisse.
C’est au sud des Alpes, en particulier dans le Haut-Valais, le Tessin et les Grisons, que ce déficit est le plus marqué, d’après MétéoSuisse. «Mais globalement, toutes les régions du pays sont touchées», souligne le prévisionniste.
A Genève par exemple, il a plu moins de 1 millimètre en février (0,5 mm) contre 60 à 80 millimètres en temps normal — du jamais vu.
Les dernières grandes précipitations, qui remontent à la mi-janvier, étaient insuffisantes pour rattraper le manque à gagner. Or, c’est en hiver que les réserves en eau souterraine se rechargent.
«Le problème c’est que ces périodes de sécheresse commencent à s’accumuler. Le déficit hydrique devient chronique», constate Lionel Fontannaz.
Une situation d’autant plus inquiétante que cet hiver sec suit un été caniculaire. Lugano enregistre ainsi entre 6 et 7 mois de déficit de précipitations au cours de la dernière année.
Mi février la surface enneigée du bassin versant du Rhône est passée sous le minimum absolu précédent qui datait de .. l'an dernier #secheresse2023 pic.twitter.com/5Ao5bvqFYb
— Simon Gascoin (@sgascoin) February 22, 2023
Et la situation n’est pas près de s’améliorer. Si la bise noire a ramené le froid hivernal, la pluie manque encore à l’appel. MétéoSuisse ne prévoit aucune nouvelle précipitation avant le 9 mars, et encore là, rien n’est garanti.
Vers un été sec? La sécheresse est certes frustrante pour les adeptes des sports de glissade. Mais elle pourrait devenir délétère pour d’autres secteurs, l’été venu. Emmanuel Reynard, professeur de géographie à l’Université de Lausanne et directeur du Centre interdisciplinaire de recherche sur la montagne:
«Dans plusieurs régions, comme dans le Valais central, le niveau des nappes phréatiques est bas. Pour une fin d’hiver avec un faible manteau neigeux, c’est mauvais signe. Il faudrait d’abondantes pluies au printemps pour compenser ce manque d’eau.»
D’après MétéoSuisse, il faudrait trois à quatre mois de précipitations ininterrompues avant l’été pour rattraper le retard. «Mais même dans ce cas peu probable, ces précipitations n’auraient pas l’efficacité qu’elles ont en hiver pour percoler les sols et alimenter les nappes phréatiques», précise le prévisionniste Lionel Fontannaz.
Des barrages vides? Manquera-t-on d’eau dans nos barrages? Tout dépend du type d’ouvrage, répond Emmanuel Reynard (UNIL):
«Pour les barrages alimentés par des glaciers, la fonte de la glace en été compensera le manque de neige cette saison. Mais à terme, ce pourrait devenir critique car le stock glaciaire ne se reconstitue pas.»
D’autres ouvrages, comme les lacs de retenue qui ne dépendent pas des glaciers ou les aménagements au fil de l’eau, verront en outre leur débit réduit cet été, souligne le chercheur.
Les agriculteurs aussi s’inquiètent. Le géographe tempère:
«S’il pleut de manière continue au printemps, quand on commence à planter, les récoltes ne devraient pas être trop impactées. En revanche, ça se compliquera en cas de sécheresse et de fortes chaleurs au début de l’été, pendant la croissance des plantes.»
L’eau potable, denrée rare? L’or bleu se raréfie. Autre enjeu inédit pour le château d’eau de l’Europe: l’approvisionnement en eau potable. Emmanuel Reynard:
«Certaines communes dépendent de sources d’eau relativement limitées et manquent de capacités de stockage.»
Il prend pour exemple les communes de la rive droite du Rhône, entre Sion et Sierre (VS), qui ont connu des restrictions d’eau l’été dernier.
Pourtant, avec un climat qui se réchauffe, les hivers en Suisse devraient globalement être plus arrosés, selon les prévisions climatiques de la Confédération. Mais avec le réchauffement climatique vient aussi une plus grande variabilité:
«On observe de plus en plus de situations anormales, avec une augmentation de la variabilité. Les épisodes de sécheresse sont plus fréquents et intenses.
On est donc face à davantage de cas de rareté de l’eau, voire de pénuries localisées. C’est nouveau pour la Suisse, jusqu’à récemment habituée à un régime d’abondance.»
Anticiper les sécheresses. Face à une denrée qui se raréfie, les comportements sont appelés à s’adapter. Un exemple: la vente de citernes pour récupérer l’eau de pluie explose.
Mais au-delà des comportements individuels, les autorités locales vont devoir se mettre à la page. Les politiques publiques, estime Emmanuel Reynard, vont devoir être «proactives»:
«Les communes et les cantons devront développer des mécanismes clairs en cas de pénurie d’eau, pour déterminer les secteurs prioritaires. L’agriculture aura-t-elle la priorité sur les loisirs? La nature sur les canons à neige?»