Pourquoi la protection de la haute mer est importante. Les océans abritent près de 242’000 espèces (connues!) et nourrissent environ trois milliards de personnes dans le monde, tout en jouant un rôle clé dans la régulation du climat. Mais le changement climatique, la pollution, la navigation, la surpêche et d'autres activités humaines causent des dommages durables aux habitats marins.
Lors de la Conférence sur la biodiversité des Nations unies (COP15) qui s'est tenue à Montréal en décembre 2022, les pays se sont accordés sur une série d'objectifs visant à enrayer et inverser la perte de biodiversité. L’un des points clés concerne la décision de déclarer 30% des océans comme «espace protégé» d'ici à 2030.
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L'accord sur la biodiversité ne précise pas quelle portion de cette zone protégée sera en haute mer. La haute mer représente pourtant deux tiers de la surface des océans. L'adoption de règles pour régir ces eaux situées au-delà de 200 miles nautiques des zones économiques exclusives (ZEE) des États sera cruciale pour atteindre l'objectif, selon les observateurs.
À l'heure actuelle, moins de 8% de l'océan bénéficie d’une forme de protection.
En haute mer, ce chiffre est encore plus bas, puisque seulement 1% de sa surface fait partie d'une zone marine protégée.
Pepe Clarke, responsable des océans au WWF:
«Conformément à l'objectif global de protection de 30% de l'océan, il est raisonnable de s'attendre à ce qu'au moins 30% de la haute mer soit également protégée.»
Décider quoi et comment protéger. Il existe deux types de mesures reconnues par la Convention sur la biodiversité, auxquelles les pays peuvent recourir pour sauvegarder l'océan, haute mer incluse.
La première consiste à créer des aires marines protégées (AMP), où les activités humaines telles que l'extraction de pétrole et de gaz ou la pêche sont limitées ou interdites. Il s'agit du niveau de protection le plus élevé.
Les pays peuvent également appliquer d'autres mesures de conservation efficaces par zones (Amcez), c'est-à-dire des dispositions de protection ou de gestion qui génèrent des avantages en termes de biodiversité, bien que ce ne soit pas leur objectif premier.
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«L'un des exemples classiques [d’Amcez] est celui d'une zone de captage d'eau potable. Elle est protégée pour que vous puissiez avoir une eau potable propre et abondante. Mais le résultat, c’est que la forêt environnante et les écosystèmes associés sont aussi protégé», a déclaré Pepe Clarke, ajoutant que les experts en conservation ont vivement débattu des avantages et inconvénients des Amcez.
«D’un côté, les gens voient qu'une Amcez permet un éventail plus diversifié d'approches de la conservation, y compris par les communautés locales. De l'autre côté, les gens s'inquiètent du fait que les gouvernements ou l'industrie puissent chercher à inclure de gigantesques portions d’océan dans cette catégorie, qui ne seraient alors pas conservées au sens plein du terme.»
Les aires marines protégées (AMP, qui correspondent à une protection maximale) recouvrent en fait plusieurs niveaux de protection. Les zones hautement ou totalement protégées, par exemple, autorisent très peu de pêche ou d'extraction minière, ou pas du tout.
«Ces zones ont tendance à apporter une réponse écologique beaucoup plus forte, avec des populations de poissons qui reviennent plus vite et l'écosystème dans son ensemble qui se rétablit plus rapidement», a déclaré Pepe Clarke.
Il poursuit: «Ensuite, vous avez tout un éventail d'accords de gouvernance, dont certains peuvent autoriser la pêche récréative ou de subsistance. Dans les faits, un nombre inquiétant d’AMP autorisent toujours la pêche industrielle à fort impact, y compris parfois la pêche au chalut ou à la drague (très destructrice pour les fonds marins, ndlr.).»
«En fin de compte, ce sont les gouvernements nationaux qui décident de ce qui compte dans leur propre pays», conclut Pepe Clarke.
Qu'en est-il de la haute mer? Dans les eaux internationales, la réglementation des activités de pêche, de transport maritime et d’exploitation minière tombe sous la responsabilité d’une myriade d'organismes et de traités internationaux. Le futur traité sur la haute mer aurait vocation à superviser la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité marine.
«En général, il n'existe pas de mécanisme ou de cadre juridique permettant d'établir des AMP en haute mer», indique Minna Epps, responsable de l'équipe chargée des océans à l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), notant que des mécanismes spécifiques existent pour certaines parties de la haute mer.
La Commission pour la conservation de la faune et de la flore marines de l'Antarctique peut, par exemple, désigner des aires marines protégées dans l'océan Austral, mais le processus est long et nécessite un consensus entre les États concernés, poursuit-elle.
Les experts de la conservation espèrent que le traité sur la haute mer contribue à la création d'un réseau d'AMP en haute mer qui puisse empêcher les activités nocives pour les écosystèmes, telles que l'extraction de minerais dans les fonds marins.
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Le Chili s'emploie déjà à créer une AMP pour protéger la faune dans les fonds marins autour de l’île de Pâques. Le périmètre, qui s’étend au-delà de sa zone économique exclusive, contient aussi du cobalt et d’autres minéraux susceptibles d’attirer les convoitises de l’industrie minière.
Des Amcez pourraient aussi être de la partie, précise Minna Epps, à condition qu'elles respectent les normes de conservation comme celles établies par l'UICN — il s’agit d’éviter de verser dans le «blue washing»:
«L'avantage d'une approche par secteur est qu'elle favorise la collaboration entre secteurs et qu'elle pourrait aussi permettre d'éviter certaines lacunes en matière de financement ou de capacités auxquelles les AMP ont été confrontées.»
D'où viendra l'argent? Le financement sera un sujet central de discussion, car les pays devront trouver comment financer et faire appliquer ces mesures de protection. «C'est bien d'avoir un accord de mise en œuvre, mais s'il n'est pas accompagné de ressources financières importantes, alors il ne fonctionnera pas», juge Minna Epps.
Le projet d’accord prévoit la création d'un fonds spécial destiné à soutenir le renforcement des capacités, la conservation et la restauration, ainsi que l'utilisation durable des ressources marines. Mais les pays doivent encore décider qui sera tenu de contribuer à ce fonds et si cela se fera sur une base volontaire ou obligatoire. Le Fonds pour l'environnement mondial (FEM) est également mentionné comme possible financeur.
Comme dans d’autres négociations internationales, les pays en développement attendent un engagement fort de la part des pays riches pour les aider à mettre en œuvre l'accord. Une proposition assez forte devrait encourager ces pays à ratifier l'accord et accélérer sa mise en œuvre, estime Minna Epps.
Une fenêtre de tir qui se réduit. Si le traité sur l’océan a mis près de 20 ans à accoucher, il ne pourrait pas tomber plus à pic. Après avoir prix du retard pendant les deux ans de la pandémie de Covid, les pays n'ont plus que sept ans devant eux pour atteindre l'objectif de 30% de la biodiversité protégée d'ici à 2030.
Si les pays parviennent à conclure un accord sur la haute mer ce mois-ci, il faudra sans doute plusieurs années pour que son impact ne commence à se faire sentir. Cela dépendra aussi du nombre d’accords subalternes nécessaires pour qu’il entre pleinement en vigueur, une trentaine nécessaires selon les observateurs.
Minna Epps:
«Ce n'est pas comme si dès que le texte était signé, on allait voir des Amcez et des AMP surgir par magie un peu partout. Mais il est essentiel que cet accord se fasse.».
En attendant, le renforcement des capacités sera essentiel, précise-t-elle, pour aider les pays en développement à se préparer à mettre en œuvre l'accord lorsqu'il entrera en vigueur.
Cet article, traduit de l’anglais par Kylian Marcos, a été initialement publié sur le site Geneva Solutions, consacré aux questions internationales et humanitaires.