Pourquoi on attend davantage de la Suisse sur le climat

Manifestation pro-climat à Berne, 28 septembre 2019 | Anthony Anex/ Keystone

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C’est en toute discrétion, ce 9 décembre, à trois jours du cinquième anniversaire de l’Accord de Paris, que la Suisse a soumis la mise à jour de ses objectifs nationaux en vue de maintenir le réchauffement climatique sous la barre des 2°C voire, si possible, de 1,5°C. Comme l’explique de manière détaillée Geneva Solutions, le manque d’ambition qui s’en dégage n’est pas à la hauteur du défi qui nous attend.

Pourquoi c’est inquiétant. La Suisse aura attendu le dernier moment que permet l’Accord de Paris à ses signataires pour proposer des objectifs plus ambitieux que ceux annoncés avant 2015. C’est dans ce cadre que la Confédération s’était plongée dans une révision de sa loi énergétique et surtout de sa loi sur le CO2, qui aura péniblement émergé du Parlement à l’automne dernier. Mais les choix de politique climatique du pays ont de quoi laisser les observateurs sur leur faim.

Un engagement a minima. A peu de choses près, la dernière version des objectifs climatiques suisses présentée à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques est une redite des objectifs précédents, qui tient plus de la figure de style qu’à un véritable renforcement. L’objectif d’une réduction de 50% des émissions de CO2 d’ici 2030 est par exemple remplacé par une réduction «d’au moins» 50%.

Les seules avancées notables sont l’objectif d’atteindre le zéro net d’émission carbone en 2050 et la prise en compte de l’empreinte carbone de la Suisse à l’étranger, notamment du fait de ses importations.

Or pour atteindre ses deux objectifs, la Suisse compte en grande partie sur l’achat de crédit carbone, qui pourront compter pour un maximum de 25% des émissions suisses. Cette solution ne peut être que temporaire dans un monde où chaque pays doit atteindre le zéro émission net. Elle s’apparente plus à une manœuvre comptable plutôt qu’à une vraie réduction des émissions, comme nous l’expliquait Augustin Fragnière, docteur en sciences de l'environnement au Centre interdisciplinaire de la durabilité de l'Université de Lausanne. Un avis que partagent d’autres chercheurs spécialistes du climat, comme Julia Steinberger; professeure à l’Unil.

Celui-ci commentait pour Heidi.news les accords bilatéraux que la Suisse a signé avec le Pérou et le Ghana sur ces échanges de crédits carbone. Ceux-ci se basent sur l’article 6 de l’Accord de Paris, article qui n’est pourtant pas encore mis en œuvre du fait des débats qu’il provoque.

Une loi CO2 insuffisante mais nécessaire. Présenter des objectifs est une chose, se donner les moyens de les atteindre en est une autre. La loi sur le CO2 en est le parfait exemple. Rescapée, mutilée d’une guerre de tranchées parlementaire, elle n’en finit pas de faire débattre. Allant trop loin pour l’UDC, mais trop faible par rapport aux défis du changement climatique par une bonne partie de la gauche, les Verts en tête, et de nombreuses associations environnementales. Au point que certaines factions de la Grève pour le Climat ont décidé de soutenir un référendum contre elle.

Pour limiter le recours au carburants fossiles, cette loi compte sur des taxes. L’Initiative pour les glaciers, qui défendra néanmoins cette loi qui «a le mérite d’exister», souhaite les voir purement et disparaître d’ici 2050. Inacceptable pour le Conseil fédéral, qui a récemment mis en consultation un contre-projet où l’utilisation de ces carburants ne serait que réduite. Position finalement taclée par l’Académie des sciences naturelles (SCNAT), qui a rappelé que les objectifs suisses auront peu de chance d’aboutir sans cette interdiction complète.

Notons tout de même la création d’un fonds pour le climat et de la taxe sur les billets d’avions, maigres avancées mais avancées tout de même dans la loi sur le CO2.

L’énergie, l’autre point noir. Ce n’est pas la première fois cette année que la SCNAT se montre critique face au Conseil fédéral sur ces questions. Elle s’est notamment exprimée sur la révision de la loi sur l’énergie, actuellement en cours. Elle la jugeait trop peu centrée sur les questions de décarbonisation du mix énergétique et basée sur une estimation trop faible de l’augmentation de la demande en électricité.

La dernière version de la stratégie énergétique 2050 table pourtant sur une hausse de 24%. Elle devra compter sur le photovoltaïque et les importations importantes d’électricité dès 2035, quand les dernières centrales nucléaires suisses s’éteindront. Or, les autres pays doivent eux aussi réduire leurs émissions carbone, le risque est de les voir conserver pour leur propre consommation l’électricité renouvelable qu’ils pourraient produire.

Mauvaise élève parmi d’autres. Pas étonnant donc que les actions climatiques soient généralement considérés comme en décalage par rapport aux objectifs de l’Accord de Paris. L’organisation Climate Action Tracker jugeait encore récemment la stratégie climatique suisse comme insuffisante.

Malgré tout, la Suisse n’a pas tellement à rougir par rapport aux autres pays, notamment ceux de l’OCDE. Elle se place par exemple 16ème sur 61 dans le classement du Climate Change Performance Index. La raison est à la fois simple est désolante: presque aucun pays n’a pris de résolutions réellement en phase avec l’Accord de Paris.

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Niveau des politiques climatiques des principaux pays émetteurs de CO2 selon Climate Action Tracker | Climate Action Tracker

La Suisse aurait pourtant tout intérêt à voir la question climatique prise à bras le corps. Martine Rebetez, climatologue à l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL) et à l’université de Neuchâtel, nous le rappelait dernièrement: le réchauffement est deux fois plus rapide en Suisse qu’ailleurs.

Ainsi, en cas d’augmentation de 3°C des températures moyennes mondiales, trajectoire actuelle selon le Programme des nations unies pour l’environnement, cela représenterait une augmentation moyenne d’environ 6°C pour la Suisse. Avec des pics bien plus élevés lors des canicules estivales à venir. Une situation qui viendrait affecter fortement les régions montagneuses mais aussi toucher de nombreux secteurs comme l’agriculture et la santé.