Le problème du commerce. Les échanges commerciaux forment un flux d’émissions carbone «circulant» qui n'est pas correctement rattaché aux inventaires nationaux des bons pays.
En 2010, cela correspondait 28% des émissions mondiales, qui étaient mal attribuées car rattachées aux pays exportateurs plutôt qu’importateurs. Et cette part est en augmentation régulière depuis les années 1990, ce que montrait une publication dans PNAS en 2011.
Les méthodes de comptabilisation des inventaires nationaux ne s’attachent qu’aux émissions carbone directement attribuables à un territoire: émissions directes (voitures, chaudières…), émissions incorporées dans les biens de consommation produits sur ce territoire pour la consommation intérieure, et enfin émissions incorporées dans les produits exportés hors du territoire. Par émissions incorporées, on entend celles entraînées par la fabrication et la vie d’un produit ou d’un service.
Il en découle que les émissions de pays fortement exportateurs comme la Chine sont artificiellement «gonflées» par rapport à ceux de pays comme la Suisse, en fonction des biens importés et exportés dans leur balance commerciale.
Les incertitudes méthodologiques.
A cela l’on doit encore ajouter une marge d’erreur liée aux méthodologies des inventaires. En effet, ces derniers restent des modélisations des émissions de GES, qui prennent en compte les caractéristiques des différentes industries, mais qui restent basés sur des hypothèses
En 2012, une étude publiée dans Biogeoscience comparait les estimations réalisées selon les méthodologies de divers organismes nationaux ou internationaux (Nations unies, Europe, OCDE, institutions américaines…) et montrait que l’écart pouvait dans certains cas s’élever à plusieurs dizaines de pourcents.
Le cas de la Suisse. La Confédération est consciente de ces limites et travaille à affiner les estimations de son empreinte carbone. Début 2018, l’Office fédéral de la statistique (OFS) a mené une étude pilote inédite afin de réintégrer en Suisse les émissions liées aux produits et services étrangers consommés sur le territoire suisse et à retrancher celles liées aux exportations. Comme le montre le graphe ci-dessous, extrait de l’étude, cela conduit à relever d’au moins deux tiers les émissions carbone du pays.
L’avis de l’expert. Vincent Moreau est chercheur au Laboratoire d’économie urbaine et d’environnement ainsi qu’au Energy Center de l’EPFL. Il détaille les limites des méthodes utilisées pour établir les inventaires nationaux.
«Les inventaires nationaux utilisés pour le protocole de Kyoto sont construits sur une base territoriale, c’est-à-dire qu’ils ne prennent en compte que les émissions directes qui surviennent sur un territoire donné. De ce fait, elles incluent les émissions des produits exportés, mais pas celles des produits importés.
La méthodologie utilisée par l’ONU est très bien documentée afin qu’elle puisse être mise en œuvre par tous les pays signataires, mais elle ne redistribue pas les importations et exportations. La raison est d’ordre méthodologique, car les démarches comme celles de l’OFS restent encore des expérimentations.
D’autant plus que ces approches ont, elles aussi, leurs marges d’erreur. Il y a quelques années, le Global Carbon Project estimait, pour sa part, à plus de 100% la part des émissions de gaz à effet de serre émise en dehors de la Suisse, pour la consommation suisse.»