Pour le climat, des scientifiques désobéissent. Et nous?

Sarah Sermondadaz

Les sages grèves scolaires de Greta ne suffisent plus. En 2022, urgence oblige, l’activisme climatique passe par la désobéissance civile. Une pratique à laquelle s’adonnent même des scientifiques experts du Giec. Après la professeure à l’Unil Julia Steinberger, qui a bloqué une autoroute avec Renovate Switzerland, c’est au tour de chercheurs allemands de troubler la tranquillité d’Autostadt, parc de loisirs à la gloire de Volkswagen. Une dizaine d’entre eux se sont englués au pavillon Porsche, pour dénoncer les freins imposés par le secteur automobile aux politiques climatiques ambitieuses.

Le symbole d’hommes et femmes de science en désobéissance est fort et marque les esprits. Mais il fait surtout polémique. Pour les uns, les chercheurs devraient s’astreindre à une absolue neutralité – à une ascèse monacale au labo, à l’abri du monde. Pour d’autres, ils ne devraient pas se réclamer de la légitimité scientifique lorsqu’ils participent à une action militante. Qu’en disent les intéressés?

«Même si c’est en tant que citoyenne que je veux m’impliquer, c’est en tant que chercheuse que je ne peux pas ne pas le faire, résumait mardi dans nos lignes Julia Steinberger. Je n’ai pas d’autre choix, c’est une question de cohérence et d’intégrité professionnelle.»

Le parallèle entre chercheur et journaliste

Et nous, journalistes, que faisons-nous pour le climat? Nous écrivons le monde avec ses défis, ses tensions, ses grands soubresauts. Non pas le monde tel que nous voudrions qu’il soit, mais le monde tel qu’il est: il en va de l’éthique de notre profession. Les opinions qui débordent des articles ont tôt fait de nous affubler d’une étiquette: journaliste écologiste, comprendre: militant. Au risque de polariser le débat. Certes, on contentera la part du lectorat déjà bien au fait de l'urgence climatique, qui désespère de l'inertie. Mais de l'autre, on ne froissera pas seulement les sceptiques, mais aussi les réfractaires au changement, que ce soit par crainte d'une explosion sociale ou d'un retour en arrière.

On peut hasarder un parallèle entre la position de chercheur et celle de journaliste, dont la production ne se découvre qu’après un travail d’expérimentation ou d’enquête. La science ne saurait être neutre, mais doit viser l’objectivité, à travers la transparence des méthodes, écrivait l’Unil dans son rapport sur l’engagement citoyen des scientifiques. Et les médias, eux aussi, ont leur ligne éditoriale: une part de subjectivité, qui doit s’appuyer sur des faits concrets et respecter des règles déontologiques claires. Dans les deux cas, la confiance – du public ou du lectorat – sera un élément crucial dans l’appréciation des prises de position, et dans la bonne compréhension des débats.

Ne céder ni à l’indifférence ni aux paniques morales

Même en s’en tenant aux faits, difficile pour les journalistes de rester indifférents face à l'extinction du vivant, à l’avalanche de catastrophes et aux désordres sociaux qu’elles engendrent. Comme les scientifiques, nous ne pouvons pas demeurer les bras croisés, sauf à vouloir produire un mauvais remake de «Don’t Look Up». Alors nous jetons aussi la lumière sur les nouveaux mouvements sociaux nés de la crise climatique. Nous nous faisons un peu anthropologues et, plutôt que de criminaliser - ce qui appartient à la justice, cherchons à comprendre.

Or, nos sociétés sont promptes à se laisser affoler par toutes sortes de paniques morales, comme des girouettes s’agitant en tous sens et ne parvenant plus à montrer le nord. Aujourd’hui, pour critiquer un jet de soupe à la tomate sur un Van Gogh ou la désobéissance de scientifiques. Mais hier encore, pour accabler un expert du Giec qui avouait avoir pris l’avion

La leçon d’histoire des mouvements sociaux

Or, polariser le monde, est-ce vraiment le changer? Et s’il existait des manières constructives de le faire? L’histoire des mouvements sociaux – droits civiques aux Etats-Unis, émeutes de Stonewall pour la communauté LGBT… – montre que souvent, les flancs radicaux, loin de s’opposer aux revendications des plus modérées, aident à faire progresser le droit. Comprendre: pour changer la société, il faut faire corps les uns avec les autres, qu’on soit d’accord sur la façon d’agir ou non, tant qu’on est d’accord sur le fond.

Et si on s’accordait enfin sur le fait de ne pas être d’accord – sans en faire systématiquement un mélodrame? S'engluer à une autoroute est-il plus utile que d’enquêter sur le greenwashing? Ce que je sais, c’est que l’une comme l’autre option restent infiniment plus efficaces que de demander poliment des comptes aux industries fossiles. Et que les débats sur les grands principes, lorsqu’ils traînent en longueur, finissent par nous éloigner des enjeux.