Oléoduc géant: une «bombe climatique» financée par de l'argent suisse
Les banques suisses investissent près de 2,8 milliards de dollars dans le pétrolier TotalEnergies, qui s'apprête à construire le plus long oléoduc chauffé du monde en Afrique de l’Est. Une «bombe climatique et sociale» qui impactera plus de 100’000 personnes. Ce vendredi à Berne, une délégation venue d’Ouganda et de Tanzanie a demandé à la BNS, réunie pour son assemblée générale, de cesser d'investir dans les énergies fossiles.
Baptisé «EACOP», il s’agira du plus long oléoduc chauffé du monde. Il traversera la Tanzanie et l’Ouganda sur plus de 1’400 kilomètres, soit l’équivalent d’un vol entre Milan et Edinburgh. Plus de 100’000 personnes vivent le long de son tracé. Dès 2025, le projet du pétrolier français TotalEnergies prévoit d’extraire plus de 200’000 barils de pétrole par jour.
Parmi les investisseurs de TotalEnergies, figurent des banques suisses, dont la Banque centrale (BNS), UBS et Credit Suisse. Une délégation venue de Tanzanie et d’Ouganda ainsi qu’une centaine d’actionnaires espèrent «fermer le robinet» de ces investissements. En commençant par la BNS, réunie ce vendredi pour son assemblée générale. On vous explique.
Le projet EACOP, une bombe climatique
Le projet East African Crude Oil Pipeline (EACOP), porté par TotalEnergies et la compagnie chinoise China National Offshore Oil Corporation, doit permettre d’extraire plus de 10 millions de tonnes de pétrole par an.
De quoi émettre jusqu’à 34,3 millions de tonnes de CO2 par an, soit davantage que les émissions combinées de l’Ouganda et de la Tanzanie, alertent les ONG, qui qualifient le projet de «bombe climatique».
L’Agence internationale de l’énergie (IEA) et le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) sont pourtant formels: pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C, il est impératif de renoncer à tout nouveau projet d’extraction fossile.
Lire aussi: L'industrie fossile est-elle la nouvelle menace nucléaire?
100’000 personnes touchées. Et les conséquences d’EACOP ne se cantonnent pas au réchauffement planétaire. En Tanzanie et en Ouganda, les ONG décrient un projet dévastateur tant pour les écosystèmes que pour les droits de l’homme.
118’000 personnes seront totalement ou partiellement privées de leurs terres, évaluent les ONG. Un chiffre que TotalEnergies ne conteste pas, bien que le pétrolier défende que «la très grande majorité (...) pourra disposer [de leurs terres] après les travaux».
Le projet prévoit de forer 400 puits pétroliers, dont 132 dans le parc national des Murchison Falls en Ouganda. Le pétrole sera ensuite transporté dans des tuyaux chauffés à 50°C qui traverseront 16 aires naturelles protégées ainsi qu’un second parc national.
35 cours d’eau seront également traversés, ainsi que le Lac Albert et le Lac Victoria – le plus grand d’Afrique, dont dépendent 40 millions de personnes pour la pêche et l’approvisionnement en eau douce.
Le risque de fuites de pétrole et de marées noires, en particulier dans une région à forte activité sismique, font craindre un désastre écologique et humanitaire.
Un Tanzanien à Genève. Toutes ces raisons ont poussé Baraka Feilise Lenga, expert en changement climatique chargé du plaidoyer pour l’ONG GreenFaith, à s’envoler pour la Suisse.
Sur la terrasse d’un ancien squat dans le quartier des Grottes, à Genève, où nous rencontrons Baraka Lenga, les oiseaux gazouillent dans les cerisiers fleuris. Pendant ce temps, en Tanzanie, les travaux du plus grand oléoduc chauffé au monde ont déjà commencé.