La Suisse, lanterne rouge
L'un des objectifs les plus importants de ce nouveau cadre mondial est la protection de 30% de la superficie de la terre d'ici 2030, et la Suisse fait partie de la coalition des «nations ambitieuses» chargée de promouvoir cet objectif. Pour la Suisse, le Forum Biodiversité de l’Académie des Sciences, en collaboration avec de nombreux experts, a également montré, il y a 10 ans déjà, que la biodiversité devait être privilégiée sur au moins 30% de la surface du pays pour être bien préservée.
La Suisse peut être ambitieuse, mais elle ne peut pas se targuer d’être un exemple. Avec seulement 13,4% de sa surface sous protection ou prioritaire pour la biodiversité, elle est aujourd’hui la lanterne rouge des pays européens.
Sur les 167 types de milieu naturels évalués en Suisse, 48% (79) figurent sur la liste rouge.
Les milieux aquatiques et marécageux sont les plus menacés
De plus, sur l’ensemble des espèces faisant l'objet d'une évaluation du risque d'extinction (20% des espèces recensées), plus d'un tiers (35%) sont considérées comme menacées ou éteintes, et 15% de plus sont potentiellement menacées.
En Suisse, les habitats aquatiques et humides sont ceux qui contiennent le plus grand nombre d’espèces menacées ou éteintes, mais l’état de nombreux autres milieux est également préoccupant. Ainsi, et contrairement à un mythe trop largement répandu, l’état de la biodiversité ne peut donc pas être considéré comme bon ni même satisfaisant en Suisse. Des mesures doivent urgemment être prises.
Si 30% de la surface du pays devrait être dédiée à la promotion de la biodiversité, cela ne signifie pas que les 70% restants pourraient être sacrifiés. Inverser la tendance au déclin de la nature, et notamment stopper l’érosion des milieux et de la biodiversité, implique un retour plus systématique à un respect de l’environnement, partout où l’humain occupe le territoire et utilise des ressources, et dans le fonctionnement même de nos sociétés.
Un intérêt général
C’est dans l’intérêt même de notre propre développement. Le nouveau cadre mondial pour la biodiversité comprend des objectifs visant à intégrer la biodiversité dans les principaux secteurs économiques, tels que l'agriculture, la pêche et les systèmes économiques et financiers, afin de réduire leur impact sur la biodiversité. Cet impact peut être mesuré comme une «empreinte sur la biodiversité».
Une publication de l'office fédéral de l’environnement (OFEV) a récemment montré qu'entre 2008 et 2020, cette empreinte a augmenté de 8%. Selon l'étude, la part étrangère de cette empreinte sur la biodiversité, principalement due à la consommation de biens importés, est passée de 58% en 2000 à 70% en 2018. Il est urgent d’inverser cette tendance.
La conservation de la biodiversité représente aussi un puissant levier pour atteindre les dix-sept objectifs de développement durable de l'Agenda 2030 des nations unies (ODD). Une étude publiée cette semaine et une autre précédente montrent que 30% de surfaces protégées pour la biodiversité sont non seulement essentielles à la conservation de la biodiversité elle-même, mais aussi pour le maintien de nombreux services écosystémiques dont nous dépendons pleinement.
Par exemple, les écosystèmes intacts assurent la purification des sols et des eaux, ou la pollinisation des cultures. Ils assurent aussi la régulation du climat, avec la moitié du dioxyde de carbone émis par les activités humaines actuellement absorbée par les écosystèmes terrestres et marins intacts. Comme il faut piéger davantage de carbone pour limiter le réchauffement, il est impératif de maintenir au moins toutes les surfaces encore naturelles, et de restaurer en plus autant de milieux dégradés que possible.
De mauvaises idées…
Malheureusement, certaines mauvaises idées proposées pour atténuer le changement climatique, comme de nombreux programmes de plantation d'arbres (souvent en monoculture), ne contribuent pas au piégeage efficace du carbone, et sont souvent néfastes pour la biodiversité. Dans ces derniers cas, ils ont donc l’effet inverse et perverse d’exacerber encore plus la crise de la biodiversité et le réchauffement climatique.
Il faut donc arrêter de payer la plantation d’arbres comme «passe-droit pour continuer à polluer» (par exemple des vols en avion) et mettre en place de réelles mesures de réduction des émissions. Ce faisant, il est essentiel de mettre en œuvre des solutions qui contribuent ensemble à résoudre les deux crises de la biodiversité et du changement climatique sans que l’une se fasse au détriment de l’autre.
… et un bon projet
Alors que les gouvernements du monde entier se réunissent à l'occasion de la COP15, c’est l’occasion de faire un vrai virage à 180° en faveur d’un véritable «accord-cadre mondial» pour la nature. Pour cela, la Suisse et la communauté internationale doivent être véritablement ambitieuses. Elles peuvent s'appuyer sur le nouveau cadre de biodiversité établi pour l'après-2020, et transformer ainsi durablement notre relation à la nature, restaurer les écosystèmes dégradés et nous garantir, ainsi qu’aux générations futures, une existence durable et de qualité.
Cela amènerait aussi une perspective positive et optimiste des plus bienvenues, alors qu’avec le manque d’exposition à la biodiversité, car la dégradation de l’environnement affecte aussi notre santé et cause de l’anxiété particulièrement chez les jeunes.