Le double jeu de la Suisse sur les combustibles fossiles
La Suisse, parangon de vertu en matière de climat? D’une main, la Confédération tâche de faire bonne figure sur le front de la transition environnementale: stratégie climatique 2050, perspectives énergétiques 2050+, etc. De l’autre, elle refuse une modernisation profonde du Traité sur la charte de l’énergie (TCE), un accord international né il y a près de 30 ans et qui menace aujourd’hui les objectifs climatiques de l’accord de Paris, a appris Heidi.news.
Où est le problème. Le TCE, acté en 1994 dans la foulée de l’effondrement du bloc soviétique, défend une large gamme d’investissements étrangers dans le secteur de l’énergie, sans différencier les énergies fossiles des renouvelables. De quoi limiter considérablement la marge d’action des Etats en matière de politique climatique… et leur coûter des milliards devant des tribunaux d’arbitrage privés au moindre changement de politique énergétique, même en faveur des renouvelables.
Berlin décide de sortir du charbon? La firme suédoise Vattenfall a récemment attaqué l'Etat allemand. L’Espagne met en place des subventions plus avantageuses pour le photovoltaïque? C’est cette fois-ci une firme suisse, OperaFund qui a porté l’affaire devant un tribunal international privé en 2015….
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Des coûts explosifs. L’ampleur réelle du problème reste encore méconnue tant le traité, qui repose sur des tribunaux d’arbitrage privés, n’est pas conçu pour la transparence. Il existe 146 affaires connues en cours sous l’égide du TCE, dont plus de la moitié à l’intérieur de l’Union européenne, soulignait en mars 2022 Yamina Saheb, ancienne collaboratrice du TCE désormais analyste en politique énergétique pour le think tank français OpenExp. «Ce chiffre ne représente que la face émergée de l’iceberg, insistait-elle. Il n’y a aucune obligation de transparence sur les actions en cours, ni du côté des Etats ni des investisseurs.»
Les investissements fossiles sont bien au cœur du problème. Fin 2021, un rapport de l’Institut international pour le développement durable (IISD) évaluait que 20% de tous les arbitrages privés entre investisseurs et Etats impliquent l’industrie fossile.