La loi climat va-t-elle faire exploser les coûts de l’énergie, comme le dit l'UDC?

La loi pour la protection du climat et sur l’innovation sera soumise au vote populaire le 18 juin. Le débat se transforme en véritable guerre des chiffres. Seul parti dans le camp du «non», l'UDC brandit la menace d'une énergie hors de prix. Mais les experts crient à la manipulation des résultats scientifiques.

Les chiffres véhiculés par l'UDC dans sa campagne contre la loi climat seraient infondés, d'après la communauté scientifique. Photo: KEYSTONE/Laurent Gillieron

Les ménages suisses ont reçu leur bulletin de vote, quelques jours seulement après un tout-ménage de l’UDC (intitulé «News Energie») les incitant à voter «non». Principal argument brandi par le parti contre la loi climat: celle-ci entraînerait une «explosion des coûts de l’énergie», avec un surcoût de 6600 francs par personne et par an. Peut-on apporter du crédit à cette évaluation? Heidi.news s’est penché sur le sujet.

De quoi on parle. Le 18 juin prochain, la population sera appelée à voter sur la Loi pour la protection du climat et sur l’innovation. Ce projet, ficelé par le gouvernement en réponse à l’initiative pour les glaciers, prévoit de réduire les émissions de gaz à effet de serre du pays à zéro d’ici 2050, à travers une série d’objectifs intermédiaires et de mesures d’encouragement. Seul parti s’opposant au projet, l’UDC a lancé un référendum, raison pour laquelle le peuple votera.

Pour le contenu de la loi: L’essentiel sur la loi climat en cinq questions

Des chiffres extrapolés? «Les coûts de l’énergie vont tripler pour atteindre 9600 francs par personne et par an», soit une augmentation de 6600 francs, argue l’UDC dans un fascicule publié en mai et baptisé «News Energie». Il s’accompagne d’une campagne d’affichage publicitaire centrée sur le même message.

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Le tout-ménage de l'UDC sur la loi climat. | Site de l'UDC

Le parti conservateur se réfère à des travaux récents, publiés dans la revue Frontiers Energy Research en 2021. Ils ont été menés par le professeur Andreas Züttel, directeur du laboratoire Matériaux et Energies Renouvelables (LMER) de Sion, centre de recherche conjoint entre l’EPFL et l'Institut fédéral de recherche sur les matériaux (Empa), et visent à explorer différentes hypothèses de transition vers une économie énergétique durable.

C’est là que le bât blesse: le chiffre retenu par l’UDC, 6600 francs par personne, est extrait du scénario le moins probable et le plus onéreux envisagé dans les travaux de Zütter et al. Augustin Fragnière, directeur adjoint du Centre de compétences en durabilité de l'Université de Lausanne (qui n’a pas participé à l’étude):

«Dans ce scénario, les carburants et les combustibles pour les transports et le chauffage sont entièrement remplacés par des carburants et des combustibles synthétiques, produits à partir d’hydrogène.»

Or ce scénario, purement théorique, n’est même pas envisagé dans les perspectives énergétiques de la Confédération. Justement parce qu’il s’avère bien trop énergivore et coûteux, note le chercheur.

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Un constat partagé par le Conseil fédéral et l’Office fédéral de l’énergie (OFEN), qui qualifient le chiffre d’«irréaliste». Dans une interview au Temps, Marianne Zünd, porte-parole de l’OFEN, clarifie:

«Dans le scénario «le moins cher» (le tout électrique), les coûts s’élèvent à 3669 francs par habitant et par an, soit un ordre de grandeur similaire à celui d’aujourd’hui.»

Une Suisse autarcique? A bien y regarder, l’étude ayant servi de base à l’argumentaire UDC se fonde sur des scénarios fortement simplifiés, qui prévoient notamment un approvisionnement en électricité complètement autarcique, soulignent les chercheurs. Augustin Fragnière:

«L’étude n’a pas été conçue pour éclairer les politiques climatiques. Elle évalue simplement l’hypothèse d’une Suisse totalement auto-suffisante et omet la diversité du mix énergétique. Dans le scénario étudié, les carburants et combustibles synthétiques (non dérivés du pétrole, ndlr.) seraient donc entièrement produits en Suisse – et le seul vecteur d’énergie pour la mobilité et le chauffage.

Par ailleurs, les économies liées à l’efficacité énergétique ne sont pas toutes prises en compte. En particulier dans le domaine du bâtiment où la rénovation permet de réduire considérablement les besoins en chaleur.»

La loi pour la protection du climat et sur l’innovation prévoit, entre autres, une enveloppe de 2 milliards de francs pour remplacer les chauffages à combustibles fossiles et améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments, et de 1,2 milliards pour inciter les entreprises à investir dans des technologies innovantes respectueuses du climat.

Outre-Sarine, la communauté scientifique s’indigne aussi face au tout-ménage de l’UDC. C’est par exemple le cas du climatologue de l’EPFZ Reto Knutti, qui s’est employé à réfuter l’argument de l’UDC sur Twitter et qualifie le chiffre retenu d’«absurde».

L’Empa réagit. Si bien que l’Empa – l'Institut fédéral de recherche sur les matériaux – s’est désolidarisé des propos de l’UDC, en rappelant que l’étude en question examinait ce qu’il adviendrait «si la Suisse voulait couvrir ses besoins énergétiques à 100% par la production nationale à tout moment.»

Peter Richner, directeur adjoint de l’Empa, rappelle que l’autosuffisance complète n’est pas envisagée par la stratégie énergétique du pays, car celle-ci ne fait «aucun sens économique ou écologique, le prix étant tout simplement trop élevé».

Pour lui, l’étude d’Andreas Züttel confirme au contraire le fait que la Suisse possède une stratégie énergétique réaliste, en combinant l’amélioration de l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables avec le commerce mondial et l’intégration au réseau électrique européen. Pour ce dernier point, il manque toutefois un accord sur l’électricité avec l’UE.

Investir pour demain. L’UDC met en avant un second chiffre en forme de repoussoir: la transition énergétique «entraînera[it] des coûts d’au moins 387 milliards de francs» sur les trente prochaines années.

Ce montant est extrait d’une évaluation commandée en 2021 par l’Association suisse des banquiers, en collaboration avec le Boston Consulting Group, qui représente les investissements requis pour abandonner les énergies fossiles. Mais leur conclusion est tout autre:

«La place financière suisse est en mesure de financer la majeure partie des investissements nécessaires – 91% – par l’octroi de crédits ainsi que sur le marché des capitaux», peut-on lire dans leur rapport.

  • L’OFEN rappelle que plus de la moitié (58%) des 387 milliards évoqués sont en réalité des investissements de renouvellement qui étaient prévus dans tous les cas, notamment pour rénover les bâtiments.

  • Il ne s’agirait donc pas de frais supplémentaires, précise Peter Richner (Empa), en prenant pour exemple que plus d’un tiers (35%) du volume d’investissement total serait lié au premier achat de véhicules électriques par des particuliers.

Le coût de l’énergie. Si les chiffres diffusés par l’UDC présentent une vision biaisée du problème, une question demeure: un «oui» à la loi climat entraînera-t-il une hausse des coûts de l’énergie?

  • D’après la stratégie énergétique 2050+,  le scénario «zéro émission» d’ici 2050 entraînerait des «coûts supplémentaires modérés», à savoir un investissement supplémentaire de 8%, ou 109 milliards de francs.

  • Pendant la même période, l’amélioration de l’efficacité énergétique permettrait d’économiser 50 milliards de francs, ajoute l’OFEN.

Vers des économies? La neutralité carbone pourrait même donner lieu à des économies, d’après Anthony Patt, professeur à l'EPFZ et expert du GIEC. Il expose le fruit de ses recherches sur le site de son institution (non encore publiés): en supposant que la Suisse continue d’exporter de l’électricité en été et d’en importer en hiver, avec une légère hausse des importations, les prix de l’électricité chuteraient.

Dans l’hypothèse où le pays continue d’investir massivement dans les énergies renouvelables, comme le prévoit la loi climat:

  • La réduction de la consommation de carburants fossiles permettrait d'économiser de l’ordre de 2,5 milliards de francs, tandis que les dépenses nationales globales en électricité augmenteraient d'environ 500 millions de francs.

  • Résultat: «une économie annuelle d'environ 2 milliards de francs d'ici 2040, soit environ 200 francs par Suisse», écrit-il.

Dans un scénario d’autarcie complète, le coût de l’électricité pourrait grimper en flèche (+40%) mais les économies sur l’importation d’énergies fossiles et l’efficacité énergétique compenseraient ce surcoût, note le chercheur.

Un impact négligeable sur la croissance. Qu’en est-il de la croissance économique? D’après les calculs de la Confédération, celle-ci ne serait pratiquement pas affectée (-0,04%).

«En d’autres termes, avec une croissance économique de 2%, un salaire annuel de 100’000 francs s’élèverait à 102’000 francs l'année suivante, et à 101’960 francs avec une politique climatique forte», finit d’illustrer Anthony Patt.

Contacté pour une réaction, le parti UDC n’a pas donné réponse à nos sollicitations.