La COP15 décide de protéger 30% de la planète, mais au détriment de qui?
A la COP15 pour la biodiversité, 195 pays ont accepté de conserver 30% des terres et des mers d'ici 2030. Si certains s’en réjouissent, d’autres craignent qu'une telle approche menace d'expulsion jusqu'à 300 millions de personnes de ces zones.
Placer un tiers de la planète sous cloche, panacée écologique ou cauchemar humanitaire? Les négociations touchent à leur fin au sommet onusien sur la biodiversité (COP15), à Montréal. Ce lundi 19 décembre, vers 4 heures du matin (10 heures en Suisse), elles ont débouché sur un accord historique: déclarer comme «espace protégé» 30% de la surface des terres et des mers d’ici 2030 – plus du double de la situation actuelle. Une cible ambitieuse soutenue par 195 pays, dont la Suisse.
Ce dossier brûlant suscite néanmoins des inquiétudes, notamment du côté des communautés autochtones qui craignent de voir leurs droits bafoués. Pour l’ONG Survival International, très critique du modèle conservationniste classique, il s’agirait du «plus grand accaparement des terres de l’histoire».
Une personne sur 30 privée de terre? «Jusqu’à 300 millions de personnes pourraient perdre leurs terres et leurs moyens de subsistance», alerte Martin Léna, chargé de plaidoyer pour la branche française de Survival International. Le problème: les régions les plus riches en biodiversité se situent souvent dans les territoires des peuples autochtones.
Or ces mêmes zones seront certainement les premières touchées par les mesures de conservation.
«La création d’aires protégées se fait la plupart du temps sans le consentement des communautés locales et entraîne souvent leur expulsion», ajoute-t-il, en prenant pour exemple des violations des droits humains orchestrées dans des parcs nationaux en Afrique et en Asie.
Les parcs nationaux, un héritage colonial. Ce modèle de conservation excluant les hommes est connu sous le nom de «conservation-forteresse», et il tire son origine de la création de Yosemite, le premier parc national au monde, il y a plus de 150 ans. Pour préserver la nature dite «sauvage», les Amérindiens se sont vus chassés de leurs terres, où ils vivaient depuis des millénaires.
«Ce modèle colonial a été exporté en Afrique et ailleurs où il domine à ce jour, note Gretchen Walters, professeure en pratiques de développement à l’Université de Lausanne. Il se fonde sur une vision occidentale de la conservation, qui perçoit l’homme comme étant séparé de la nature. Or les populations autochtones vivent souvent avec la nature.»
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Si les communautés autochtones ne représentent que 5% de la population mondiale, elles gèrent 25% des territoires et protègent 80% de la biodiversité mondiale. «Les écosystèmes qu’on retrouve dans ces régions ont été gérés par ces communautés depuis des millénaires. Les exclure de leurs terres menace non seulement leur culture, mais aussi la biodiversité qui s’y trouve.»
En Australie, par exemple, les aborigènes utilisent le feu contrôlé pour gérer leur territoire depuis plus de 40’000 ans, ce qui a favorisé l’émergence d’un certain type de biodiversité, note Gretchen Walters qui travaille depuis vingt ans sur des projets avec des communautés autochtones en Afrique et en Europe.
Le risque d’abus. L’idée que la préservation de la nature passe par l’exclusion de toute présence humaine est bien ancrée et tend à se renforcer, comme le documente depuis plusieurs années l’ONG Survival International. Martin Léna:
«Depuis les années 2000-2010, on constate une forte militarisation des aires protégées en Afrique et en Asie, avec des violences extrêmes à l’encontre des peuples autochtones qui essaient d’accéder à leurs terres pour se nourrir, cueillir des plantes médicinales, ou encore se rendre sur leurs sites sacrés.»
Ainsi, en 2020, le WWF a fait l’objet d’une enquête des Nations unies pour un projet de parc naturel au Congo où des gardes forestiers sont accusés d'avoir commis des exactions, dont des meurtres, tortures et abus sexuels, à l’encontre des «Pygmées» Baka vivant dans la région.
D’après une étude menée par des associations ainsi que l’Université d’Helsinki en 2016, sur les 34 aires protégées qui se situent dans le bassin du Congo, au moins 18 ont été signalées pour des violations des droits humains, et au moins 24 ont entraîné un déplacement physique et économique de la population locale.
En Tanzanie, 150’000 Maasaï pourraient bientôt être expulsés de leurs terres pour faire place à un projet touristique de chasse au trophée.
Quel type d’aires? Peut-on s’attendre à de telles exactions dans les territoires ciblés par la COP15? «Si un pays impose un territoire comme aire protégée sans consulter les communautés locales qui y vivent, cela pose problème», note Gretchen Walters. Pour elle, tout dépendra du type d’aire de protection qui sera retenu:
«Les parcs nationaux sont par exemple très restrictifs, car personne n’a le droit d’y vivre – et sont ainsi à éviter. Mais il existe d’autres outils plus souples qui permettraient de reconnaître la contribution des communautés locales dans la protection de l’environnement.»
La chercheuse renvoie au concept d’aires conservées (ou Amcez, Autres mesures de conservation efficaces par zone), qui contribuent à préserver la biodiversité sans exclure toute présence ou activité humaine. C’est le cas, par exemple, de pâturages gérés par les collectivités, de bassins versants ou de zones militaires.